Château d’Yquem 1989
Blanc liquoreux, Sauternes, 1989
Commenté par Charles Chevallier, les Domaines Barons de Rothschild (Lafite)
En ces lieux, parler d’Yquem paraît un peu difficile et délicat, mais nous allons tout de même essayer de relever le défi.
Je voudrais parler un peu des viticulteurs qui, normalement constitués, quand ils cultivent leur vigne avec amour, passion, beaucoup de travail tout au long de l’année et qui voient le mois de septembre arriver avec des raisins bien mûrs, expressifs, bien dorés pour faire des vins blancs ou avec une couleur pourpre ou grenat pour faire des vins rouges, se disent : « Après tout, la nature nous a bien aidés jusqu’à cette période du mois de septembre et éventuellement de début octobre, et avant que quelque mauvais champignon ou quelque désastre puisse arriver, rentrons notre raisin pour en faire du vin, excellent ».
Et puis, il existe une race de viticulteurs un peu spéciaux, des irréductibles Gaulois – même si ce ne sont pas forcément que des Gaulois parce que l’on en trouve quelques-uns comme ceux-là dans quelques rares régions du monde – qui ont une autre vie, une autre philosophie peut-être, et qui se disent que ce champignon, cette pourriture, ce botrytis qui s’installe sur les raisins – qui peut être un fléau dans bon nombre de cas, une très grande majorité – a peut-être des qualités.
Jouons donc, soyons fous, soyons joueurs de poker contre nature, soyons des illuminés, je ne sais comment nous pouvons nous qualifier. Le virus m’est en effet également tombé dessus et l’on n’arrive pas à en guérir, c’est une contagion assez extraordinaire. Entrons dans un jeu de poker dont nous ne connaissons pas les règles, parce qu’il n’y en a finalement pas. C’est un adversaire contre qui nous nous battons, nous ne savons pas s’il va venir tôt, tard, dans quelles conditions, de quelle manière nous allons le combattre, de quelle manière il va ruser, nous surprendre. Jour par jour, nous évoluons et nous nous apercevons finalement que cet adversaire, que nous craignions au départ, devient un partenaire judicieux, subtil, intéressant, intelligent et qui nous aide à progresser, nous amène sur un chemin que nous n’aurions pu imaginer au départ, qui d’une année sur l’autre n’est jamais le même et qui est toujours surprenant. Que ce soit début septembre pour certains millésimes très précoces ou fin novembre pour d’autres millésimes beaucoup plus tardifs, nous avons toujours un cheminement surprenant.
Il est vrai que de temps en temps, nous avons quelques millésimes sur lesquels le partenaire n’a pas joué son jeu, il n’a pas été sympathique, drôle, subtil comme nous l’attendions. Il nous a tendu des chausse-trappes et quelques millésimes n’ont malheureusement pas été produits, ce sont les aléas de la nature. Il s’agit cependant d’un jeu auquel on se pique, on se passionne et une fois que l’on a commencé à jouer, je crois que l’on ne peut jamais s’arrêter, on continue toujours en espérant que la partie suivante sera encore plus belle, encore plus dynamique, encore plus surprenante.
Voilà une partie de cette histoire des vins de Sauternes.
Le partenaire de 1989, qui fut-il ? Nous sommes là avec le Yquem de ce millésime, comment l’adversaire était-il au départ et comment est-il devenu partenaire ?