Château Belair 1988
Rouge, Saint-Emilion, 1988
Commenté par Nicolas de Bailliencourt
Je suis très touché que vous ayez eu la gentillesse de m’inviter, ici. Ce château, Le Tertre, est merveilleux. Il ne demande qu’à être enchanté. Avant notre arrivée, nous avons fait un long tour vers la Gironde et j’ai retrouvé cette émotion d’identité profonde qui me lie à ce pays. Un pays extraordinaire dont on pourrait parler très longuement et dont j’ai rempli des passages entiers de mes livres
Ce sont peut être les brises d’Hölderlin qui nous apportent ce bel air. Belair le bien nommé. Il est vrai que ce domaine a fière allure, posé en sentinelle, en plein vent, au bord de la combe de Saint-Emilion. La bâtisse semble réellement veiller aux avant-postes de ce grand vignoble qu’est Saint-Emilion. Ses chapeaux de tuiles plates émergent de l’océan de tuiles romanes qui l’entourent, annonçant l’architecture du Périgord tout proche. Romain ou plutôt gallo-romain, Belair l’a pourtant été au temps où ce vignoble faisait partie intégrante de la villa du poète Ausone.
A l’époque où les Anglais vendangeaient l’Aquitaine, c’est le grand sénéchal et gouverneur de Guyenne, Robert de Knolles qui récoltait ses raisins, pour produire n’en doutons pas, les vins exquis de l’époque. Ils ont peut être réconforté le connétable du Guesclin, prisonnier du Prince Noir à Libourne et qui aurait été l’hôte bien malgré lui, de Belair en 1364. Les descendants de Robert de Knolles francisèrent leur nom en Canolle, lorsque l’Aquitaine devint définitivement française après la bataille de Castillon dont ils entendirent sans doute la canonnade toute proche. Le célèbre cru de Canolle appartint à cette famille jusqu’à la Révolution avant de prendre le nom de Belair et de changer plusieurs fois de propriétaires au XIXème siècle. Aujourd’hui, c’est Madame Dubois-Challon qui en est l’heureuse propriétaire. Belair est géré avec beaucoup de soins par Monsieur Pascal Delbeck.
Premier Grand Cru Classé B de Saint-Emilion, la propriété s’étend sur un peu plus de 12 hectares répartis entre les côtes argilo-calcaires qui dominent la Dordogne et le plateau calcaire de Saint-Martin. Les vignes, des Merlots à 80 % et des Cabernets francs à 20 %, sont plantées directement au-dessus d’immenses galeries creusées dans le calcaire sur 3 étages.
Ces fameuses caves de Saint-Emilion qui ont longtemps été des carrières, puis des champignonnières, abritent aujourd’hui le vin produit en surface et le conserve à la température constante de 11,5°C.
Elles permettaient autrefois, paraît-il, aux propriétaires de Belair de se rendre en marche souterraine jusqu’à l’église monolithe de Saint-Emilion pour les veillées de Noël, avec sans doute un fil d’Ariane pour ne pas y rester jusqu’à Pâques.
Le vignoble est cultivé de la façon la plus traditionnelle qui soit, d’autant que Pascal Delbeck est un adepte de l’écodynamie, mélange subtil d’écologie et d’exploitation dynamique des forces de la vie ou de la joie.
Le poète méridional Jasmin, lors d’une visite à Saint-Emilion en 1861, décrivait la côte de Belair, hérissée d’échalas et de sarments, « Elle est la favorite du soleil, elle a sa meilleure chaleurée, écrivait-il. « Et quelque mauvais temps qu’il fasse dans l’année, jamais elle n’est veuve de lui. »
Ce millésime 1988, dans l’ombre des 89 et 90, est un des millésimes incontournables de la décennie 80. Cette très bonne année a donné des vins classiques que l’on peut apprécier aujourd’hui, mais qui ont du temps devant eux.
Ce Belair, d’une grande finesse accompagne avec élégance ce canard en habit vert. Il est tout à fait digne de l’Académie, comme le plat qu’il accompagne. Ses notes subtiles de fruits rouges, de gibier et d’épices en font une grande réussite à laquelle, je suis sûr, vous serez sensible.