Château Cheval Blanc 1975
Rouge, Saint-Emilion, 1975
Commenté par Monsieur Thierry Manoncourt
Entrée officielle de la Baronne Philippine de Rothschild, du Baron Frère, en qualité d’Académiciens, de Monsieur Jacques Rigaud en qualité de Membre Correspondant
Cheval Blanc, un cru d’intelligence.
Lorsque le jeune Président du tribunal de Libourne, Ducasse, demanda à la Comtesse de Carles, dont il avait été le précepteur des enfants, si elle pouvait lui vendre un petit morceau de sa très importante propriété de 250 hectares à Saint-Emilion, le Château de Figeac, afin d’avoir à la sortie de Libourne une propriété de campagne, il ne se doutait probablement pas du sort prestigieux réservé à cet achat qu’il fit en 1832 et qu’il agrandit en 1838. C’était un acte d’intelligence.
Lorsque 25 ans après, son gendre Laussac Fourcaud, après de bonnes transformations et agrandissement des bâtiments avec construction d’une tour et d’une chapelle, décida de ne plus vendre ce vin sous le nom de « vin de Figeac » mais de choisir son indépendance de marque en créant celle de Château Cheval Blanc, ce fut un acte d’intelligence génial.
La décision de drainer cet endroit en fut un autre, mais aussi de planter en bord de route quelques vignes basses rapprochées d’un mètre, taillées et cultivées à la façon du Médoc, pièce qu’on appelait la Médoquine et qui se faisait remarquer. Adapter un encépagement spécial ici de 1 tiers seulement de Merlot pour 2 tiers de Cabernet franc à ce terrain très spécial, majoritairement de graves qui parmi les 5 000 hectares de Saint-Emilion n’en couvre qu’une soixantaine, fut aussi un acte d’intelligence.
Comme aussi de ne vendre qu’à quelques négociants de Bordeaux parmi les plus prestigieux de l’époque, comme Cruse ou Calvet.
Aussi, lorsque sous l’Occupation, le gouvernement décida d’homologuer les prix des grands vins afin qu’ils ne soient pas achetés à bas prix par l’occupant, Latour, Lafitte, Margaux, Haut-Brion, furent tarifés à 100 000 francs le tonneau de 4 barriques. Ausone le fut aussi. Tandis que Petrus, pas encore très bien connu des Chartrons n’était qu’à 90 000. A cette époque, Jacques Fourcaud-Laussac, le grand patron, seul maître à bord de Cheval Blanc, faisant une visite de bon voisinage à ma Mère, ma Mère qui habitait Paris mais s’était réfugiée en Gironde, lui dit : « Chère Madame, nous sommes très contents de ces homologations qui viennent de sortir, car pour la première fois Cheval Blanc a été mis officiellement à la même hauteur qu’Ausone ».
Beaucoup de souvenirs personnels me viennent à l’esprit, trop même. N’est-ce pas cependant ici l’occasion de vous faire connaître cette anecdote quasi historique. De toute façon, Jacques Fourcaud-Laussac a été un homme extraordinaire pour Cheval Blanc. N’ayant pas d’enfant, il se consacrait corps et âme à ce cru de sa famille, craint de ses neveux et nièces parce qu’il était méticuleux et qu’il ne tolérait pas que quelque chose à Cheval Blanc ne soit et ne reste impeccable ; alors le rodéo à bicyclette dehors autour d’un train de chaises de la chapelle par notre groupe de copains, ce n’était pas son genre.
Il a été cependant pour moi, presque paternellement, de charmant voisinage, répondant toujours amicalement à mes questions lorsqu’il m’arrivait de lui en poser.
Aujourd’hui on ne peut ignorer Nadette Hébrard et Jacques, celui qui a fait ce beau vin, ma belle-sœur Claude de Labarre qui, lorsqu’elle a dirigé Cheval Blanc a choisi l’ami Pierre Lurton et dont le mari, mon beau-frère, Henri de Labarre a construit les nouveaux chais.
Maintenant l’acte d’intelligence, c’est vous cher Albert et chère Christine qui l’avez accompli en mettant la moitié de Cheval Blanc dans votre patrimoine et qui assurez maintenant pour Marie-France et pour moi cet amical et charmant voisinage.
Comment ne pas comprendre votre attirance pour ces graves exceptionnelles puisque c’est grâce à mon arrière grand-père belge qui a abandonné à la partie belge de ma famille notre Château d’Herstal près de Liège que Figeac est aujourd’hui dans notre patrimoine.
Décrivons maintenant ce vin admirable de 1975 :
la couleur en est encore assez sombre, le nez est complexe, de tabac blond, de torréfaction et de café mais aussi de fruits confits, un peu d’orange, rond et velouté à l’attaque, un peu d’amertume mais sans sécheresse. On y trouve un rappel de cannelle et de pain d’épices. La finale est dense et de grande longueur. Vendangé surtout en début d’octobre, c’est une des réussites exceptionnelles dans ce millésime.