10/09/2010

Château Cos d’Estournel 1985

Rouge, Saint-Estèphe, 1985

Commenté par Denis Dubourdieu, Oenologue

Nous sommes à Saint-Estèphe dans un lieu particulièrement inspiré et très beau. Chaque fois que j’y passe, je suis absolument émerveillé par l’esprit qui se dégage de ce Cos, qui signifie croupe, petit monticule de graves, de ces graves laissées par le fleuve tumultueux et c’est sur cette croupe de graves qu’est établi ce vignoble de Cos d’Estournel.

Il n’y a d’ailleurs pas que des graves à Cos, il y a également des affleurements calcaires, qui sont les calcaires de Saint-Estèphe, on trouve des graves au sommet de la colline et sur les pentes sud, mais on trouve aussi sur les pentes est et ouest des affleurements calcaires qui donnent la spécificité de cet endroit qui n’est séparé de Lafite que par la Jalle du Breuil.

Nous goûtons un vin vieux. Nous goûtons donc du vin, mais aussi du temps. Il n’y a pas beaucoup d’aliments, pas beaucoup de boissons, quelques alcools, dans lesquels on goûte du temps. Nous goûtons quelque chose qui n’est pas figé comme une toile, une peinture ou un meuble du XVIIIe qui sont tels qu’ils furent. Ce vin a été imaginé, rêvé par des hommes, qui étaient les interprètes d’une partition, le terroir, mais la musique que ces hommes ont imaginée, sonne aujourd’hui évoluée par le temps.

Au fond, lorsque l’on goûte du temps, on est inquiet parce que le temps qui passe ne nous arrange guère. C’est pour cette raison qu’il y a beaucoup de pensées magiques lorsque l’on goûte un vin vieux, surtout s’il est resté jeune. Au fond, on va se dire que s’il est resté jeune et si on l’absorbe, immanquablement, ce vin aura le même effet sur nous.

Qu’est-ce que rester jeune ? Je pense que pour les hommes et pour les femmes, on peut être jeune à tout âge, à condition de satisfaire deux conditions : paraître raisonnablement, je dis bien raisonnablement, plus jeune que son état civil, surtout être beaucoup plus intéressant que quelques années auparavant et même relativement imprévisible.

Je pense que ce Cos d’Estournel 1985 présente ces caractéristiques, il est d’une jeunesse étincelante, c’est d’ailleurs l’apanage des grands Bordeaux, c’est pour cette raison que les gens raffolent des grands Bordeaux. Certains vins sur la planète sont tout aussi bons, mais rares sont ceux qui paraissent aussi jeunes quand ils sont vieux. Ils n’en sont que plus intéressants et fascinants. C’est le temps qui les révèle et qui les ravive en quelque sorte.
Je ne vais pas vous le décrire, mais je vais tout de même vous donner quelques caractéristiques du millésime 1985. Ce millésime, souvenons-nous en, avait été marqué par un hiver terrible, très rigoureux, nous avions d’ailleurs perdu de la vigne, il a fait extrêmement froid durant l’hiver 1985, nous avons eu plusieurs jours à plus de moins 10°C. Il s’est ensuite agi d’un millésime assez moyen dans sa climatologie, nous avons eu un printemps moyen, un mois de juillet moyen, un mois d’août moyen et il a ensuite fait très beau et cela a donné ce millésime. J’ai regardé les chiffres, il a plu deux millimètres en septembre et quatre en octobre. D’ailleurs, nous nous en souvenons de manière cuisante parce qu’il a fait tellement sec que nous avons eu les pires difficultés à obtenir la pourriture noble en sauternais, mais nous avons réussi ce grand Médoc.
Il a toutes les caractéristiques du grand Médoc, toute cette jeunesse, cette fraicheur presque mentholée, cette odeur entre la menthe et l’âtre, à la fois fumé et mentholé, il a cette suavité, cette sucrosité sans sucre, alors que nous sommes ici à Yquem dans l’empire des vins riches en sucre. Ce 1985 a cette suavité sans sucre qui est émerveillable.

Je vous souhaite une bonne dégustation.