Château De Fargues 2005
Blanc liquoreux, Sauternes, 2005
Commenté par Recteur Jean-Pierre Poussou, Académicien du Vin de Bordeaux, Professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne
DINER-CONFERENCE AU CHATEAU DE FARGUES
Monsieur le Grand Chancelier,
Monsieur le Président de l’Académie Goncourt,
Cher Alexandre,
Mesdames et Messieurs,
C’est avec une réelle émotion que je prends ce soir la parole devant vous pour commenter ce vin exceptionnel qu’est le Fargues 2005. Déjà sa couleur dans ces bouteilles qu’Alexandre de Lur-Saluces veut avec raison toujours transparentes, ou dans vos verres, en dit long sur le bonheur que vous allez éprouver.
D’autres dimensions s’y ajoutent pour moi. Etant donné l’historien que je suis, la première c’est bien sûr de retrouver une nouvelle fois un site historique qui me parle tant puisqu’en effet le vieux château de Fargues, qui était autrefois une paroisse de Toulenne où existaient des forges, remonte sans doute aux XI°-XII° siècles, cependant que le château neuf, dû à Raymond Guilhem de Fargues, devenu cardinal en 1306, date de cette même année, donc du début du XIV° siècle. Il fut détruit par un incendie en 1687, mais Alexandre de Lur-Saluces m’a permis de suivre pas à pas les étonnants travaux qu’il a entrepris pour la réhabilitation de cet édifice entré en la possession de sa famille, ainsi que le domaine d’Uza qui lui est si cher, en 1472, par le mariage de Pierre de Lur avec Isabelle de Montferrand. Il y a donc cinq siècles et demi que la famille de notre hôte produit du vin ici.
Château de Fargues, la renaissance de la forteresse
Mais, si le domaine est grand : 170 hectares, la vigne qui est plantée en sauvignon et surtout en sémillon – 😯 % du total-, celui-ci étant parfaitement adapté aux conditions particulières de vendange, n’en est qu’une petite partie avec 15 hectares contre plus de 100 plantés en pins, et 25 consacrés au maïs, Fargues restant une grande exploitation polyculturale, avec un bel élevage de bazadaises. En fait, l’orientation au sein de ce domaine vers un grand sauternes qui représente en moyenne 19.000 bouteilles par an, due à son oncle Bertrand de Lur-Saluces, n’a qu’un siècle. Mais quelle réussite !
Telle est la deuxième raison de mon émotion : boire un Fargues 2005 est un plaisir rare, je dirai sans prix comme Alexandre de Lur-Saluces a dit lui-même que les soins nécessaires pour le produire font que, finalement, ce n’est pas un vin d’un prix élevé en regard des efforts qu’il demande. Cher ami, la réussite de vos efforts, que seconde admirablement François Amirault, est telle que déjà pour les connaisseurs, et bientôt pour un plus large public, le Fargues sera un nom exemplaire, au même titre que quelques exceptionnels grands crus. La raison en est évidente : vous avez appliqué à sa production les méthodes qui vous ont toujours réussi : à savoir la recherche de la qualité suprême quitte à moins produire, le refus de la chaptalisation, le rejet des mauvaises années, car il y en a, et toute une série de soins attentifs.
Car nous sommes ici dans un pays viticole totalement original, avec ses vendanges tardives, attestées dès la fin du XVII° siècle, et, depuis le XIX° siècle, les tries successives pour tirer parti du botrytis cinerea, ce qui implique un travail considérable, s’étalant sur une longue période, avec une prise de risques permanente liée à la durée même du processus et à la grande variabilité de la météorologie.
Ce qu’il faut aussitôt noter, c’est que 2005 fut une année chaude, avec une grande sécheresse d’été ; quelques pluies survenues entre le 8 et le 12 septembre avaient semblé annoncer un départ rapide de la botrytisation, mais un temps froid survenu ensuite la stoppa, et il fallut que revienne la chaleur pour qu’elle se produise, finalement à une date somme toute précoce puisqu’une première trie, du 27 au 30 septembre, a livré des lots d’une exquise finesse, dotés d’une belle fraîcheur et d’une acidité bienvenue. Les 2 et 3° eurent lieu du 8 au 11 octobre, les 4 et 5° du 24 au 27 de ce même mois, avec des « grains confits et rôtis à souhait ».Ce simple calendrier dit à quel point faire un Sauternes 100% botytrisé est un risque économique insensé car chaque trie peut être la dernière, les caprices de la météorologie décidant seuls.
Le résultat, c’est le plus grand Fargues des années 1990 et 2000, avec un peu plus de sucre résiduel que d’habitude, un bouquet légèrement résineux, avec des nuances d’amande et de peau de pêche, mais aussi un mélange de cire de bougie fondue et de confitures d’oranges amères. Ce vin est riche et généreux, avec une précision dans les saveurs et les arômes très impressionnante : fraîcheurs, acidité et arômes floraux sur les premières tries, concentration extrême des baies confites sur les deux dernières. Tout laisse penser que dans trois ou quatre ans il sera encore plus grand, mais déjà en bouche tout est harmonie. Dès maintenant, c’est un vin complet où tout est déjà bien en place : comme tous les grands vins, il est exceptionnel même dans sa prime jeunesse actuelle. En un mot, nous avons ici la définition même du millésime parfait, à partir d’un équilibre paradoxal puisque les deux tries extrêmes sont deux oppositions de style, habituellement inconciliables, qui donnent à ce Fargues 2005 une profondeur insondable.
Bien sûr, cher Alexandre, chaque année, malgré la maîtrise des procédés et des soins apportés, les variations climatiques et météorologiques jouent un rôle capital, mais vous nous montrez ici une telle réussite que l’on ne peut que reprendre la devise qui figure sur le blason de votre famille : Noch, c’est-à-dire « Encore ! », et mille bravos bien entendu.
Recteur Jean-Pierre Poussou