Château d’Issan 1988
Rouge, Margaux, 1988
Commenté par Florence Cathiard
Parce que ce jour est le premier des conférences de Malagar sur les plaisirs, il me sera difficile d’approcher en éloquence, et donc en gratifications hédonistes, le Professeur Touzot ou Jean Lacouture, pour ne citer que les deux derniers orateurs.
Heureusement, ce beau magnum d’Issan est là pour nous aider à faire un agréable voyage dans le temps. Vingt ans déjà, c’est un bel âge. Et cet Issan là va nous le confirmer dans le verre. Il est vrai que ce château a une relation toute particulière avec le temps et l’histoire. N’est-il pas l’un des plus anciens de tous les grands Bordeaux, puisque sa première référence connue remonte au XIIème siècle, lors de l’occupation de la Guyenne par les Anglais, après avoir été servi au mariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri Plantagenêt ?
Il fut rasé puis reconstruit par le Chevalier d’Essenault, au XVII ème, qui lui donna son nom, contracté d’ailleurs, pour donner Issan. Ce cru déjà célèbre fut choisit par la cave du Prince de Galles au XVIIIème, et devint par la suite le favori de l’empereur François-Joseph de la cour d’Autriche.
Ensuite, Issan connût une longue éclipse jusqu’à ce que la famille Cruse, ici présente, danoise d’origine et bordelaise d’adoption dans la plus pure tradition des Chartrons, en fasse l’acquisition en 1945. Depuis, plusieurs générations de Cruse se sont succédé dans ce beau château et s’emploient avec passion à rendre tout son lustre à ce grand domaine de l’appellation Margaux. Appellation complexe et fameuse s’il en est, dont Issan est l’une des plus authentiques illustrations : 120 hectares, presque d’un seul tenant, dont 53 de croupe graveleuse consacrée à la culture de la vigne avec, en leader, le cabernet sauvignon, appuyé sur un quart de merlot.
En 1998, Emmanuel Cruse est devenu gérant à tout juste trente ans, mais comme on dit par ici, « il était né dans une barrique ». Il a su porter, sans faire ombrage à son illustre père Lionel, ici présent, il a su rendre à Issan tout son lustre d’antan. Et je crois que son ascension est rapide et sans accroc. Emmanuel suit donc une courbe parallèle devenant en 2002 consul honoraire de Finlande et, depuis le début de cette année, Grand Maître de la Commanderie du Bontemps de Médoc, Grave, Sauternes et Barsac. Cela dit, pour l’aider à garder sa fraîcheur et sa modestie – car nous l’aimons comme il est, nous allons nous pencher sur notre verre pour découvrir ce millésime qu’il n’a pas élevé et qui, pourtant, est très accompli. Et je me suis permise de griffonner un petit poème pour saluer ce vin :
« D’abord, voyons sa robe et ses éclats profonds
Puis plongeons notre nez dans ses arômes longs
Enfin goûtons ce vin à l’approche élégante
Qui tapisse nos bouches de ses notes vibrantes
Pas d’attaque brutale, d’explosion de senteurs
Puis un subtil dosage d’acide et de rondeur
Qui nous laissera tous assurés d’un plaisir
Sans lourdeur ni contrainte pour les heures à venir
Harmonie, équilibre, c’est l’atout de Bordeaux
Beaucoup sont ses rivaux mais peu sont ses égaux
La devise d’Issan l’affirme sans complexe :
« Pour la table des rois et l’autel des déesses »
En serons-nous ce soir les dignes héritiers ?
Je l’espère et levons nos verres à l’amitié. »