Château d’Yquem 1955
Blanc liquoreux, Sauternes, 1955
Commenté par Georges Haushalter
Comme l’écrit le Ferret au début de sa notice sur le château d Yquem, » les très grands vins ne naissent pas au hasard, et encore moins sur n’importe quel terroir « .
Et pourtant, nous voici ce soir réunis dans la profondeur calme d’une jolie campagne discrète que rien au premier coup d’œil ne distingue d’autres beaux paysages viticoles français.
Mais le génie exceptionnel de ce lieu à rendu le nom d Yquem célèbre dans le monde entier.
En 1855, le classement fait du château d’Yquem le seul 1er cru supérieur. Il y a plus de 200 ans, Thomas Jefferson écrivait au Comte de Lur Saluces : » j’ai convaincu notre président George Washington de goûter votre vin. Il vous en commande 30 douzaines et je vous en demande en plus 2 douzaines pour moi-même. »
C’est en 1593 que Jacques de Sauvage, ancêtre des Lur Saluces, acquiert Yquem en tenure simple auprès du roi de France. Son descendant Léon de Sauvage en acquiert la pleine propriété en 1711 en achetant l’affranchissement de la rente versée au roi pour ce bien.
Le Château restera propriété de cette famille pendant un peu plus de 400 ans, jusqu’à son achat en 1999 par LVMH. Depuis 2004, Pierre Lurton préside aux destinées d’Yquem, aidé par Francis Mayeur à la direction technique, présent au château depuis 1983, par Sandrine Garbay au chai et par Antoine Depierre à la vigne.
Les vignes d’Yquem s’étendent sur 3 croupes, dont l’une porte le château et les chais, à 75 mètres d’altitude. Le domaine s’étend sur 189 ha dont 125 sont classés en appellation Sauternes et 100 sont actuellement en production. Le sol est constitué de 2 terrasses alluvionnaires du quaternaire avec des affleurements argilo-calcaire plus anciens. Un réseau complet de drainage du sol est en place depuis 1884.
L’encépagement comprend 75 % de sémillon et 25 % de sauvignon.
Mais la magie d’Yquem vient surtout de la pourriture noble.
Au 5ème siècle avant Jésus-Christ, les Grecs buvaient un vin appelé saprien. La traduction littérale de sapros est pourri, putride, décompose. Mais la production de vin fait à partir de raisins atteints de pourriture noble ou en sur maturité semble s’être perdue pendant quelques 2 000 ans, puisque l’exploitation de la pourriture noble pour la production de vin n’apparaît pas dans les archives avant le 17ème siècle. Un acte du 4 octobre 1666 relate un litige opposant François de Sauvage, sieur d’Yquem, à certains de ses tenanciers qui voulaient vendanger trop tôt. L’acte précisait qu’à Sauternes, il n’est coutume de vendanger que vers le 15 octobre. Or, au 17ème siècle, les vendanges en Gironde n’ont commencé que 7 fois à la mi-octobre et 22 fois seulement au total en octobre.
Francis Mayeur qualifie volontiers le travail de ses vendangeurs de cueillette de champignons. Tout l’automne, trie après trie, ils repassent dans le vignoble d’Yquem, en moyenne 5 fois, à la recherche des raisins botrytisés d’une richesse minimale de 20 degrés d’alcool potentiel. En 1955, les vendanges démarrent le 21 septembre, date la plus précoce de la décennie 50 avec celle de 1959. Elles s’achèvent le 28 octobre. Le vin commence sa vie dans des barriques bordelaises neuves, dans lesquelles il sera fermenté et élevé pendant 2 à 3 ans.
En 1955, près de 600 barriques d’Yquem seront produites. Une réussite exceptionnelle. Le rendement moyen à Yquem est de 9 hl par ha, soit un verre par pied de vigne.
Ce 1955 est un grand classique d’Yquem. A 60 ans passés, il reste onctueux en attaque, il révèle des arômes de tabac, d’épices et d’écorce d’orange et sa trame en bouche garde beaucoup d’éclat grâce à une belle acidité. François Mauriac qui, de sa terrasse à Malagar, pouvait contempler Yquem, avait coutume de dire : »les étés d’autrefois brûlent dans les bouteilles d’Yquem. « . Pendant les vendanges de 1955, François Mauriac séjournait à Malagar et savourait cette vue vers ici. « Tant pis, j’oserai dire ce que je pense : paysage le plus beau du monde, à mes yeux » écrit-il dans son journal. Quel plaisir de partager tout cela ensemble ce soir. Merci au Château d’Yquem pour son accueil, pour ce dîner magnifique et pour ce vin, qui est plus proche de l’œuvre d’art que de la boisson.