01/06/2005

Château d’Yquem 1995

Blanc liquoreux, Sauternes, 1995

Commenté par Madame Florence Cathiard

Déjà un an que notre Grand Chancelier Alexandre de Lur Saluces me confiait la responsabilité de le remplacer. Il était évident que pendant les treize année de sa présidence, il avait tellement bien animé et organisé notre Académie qu’en fait, je n’avais qu’à continuer…

Parler d’Yquem … quelle prétention ! J’ai envie de vous encourager à le goûter tout de suite, sans attendre mes commentaires. Ainsi, transportés en un instant de l’autre côté du miroir vous pourrez vérifier que la magie d’Yquem opère, encore et toujours …

Juste après avoir accepté l’honneur qui m’est fait, et le piège qui m’attend, j’ai pensé que je pourrais peut être tourner la difficulté en écrivant quelques alexandrins, la forme permettant pourquoi pas d’habiller le fond … Mais pas d’esquive avec Yquem, les papiers froissés qui tapissent le fond de ma corbeille peuvent en témoigner. Alors je me suis tournée vers les meilleurs critiques du vin, leurs articles dithyrambiques et il faut le dire, un peu similaires. J’ai relu les grands écrivains, Jean-Paul Kaufmann, Michel Serres pour ne citer qu’eux, et là j’ai failli vraiment me décourager. Tout a été dit et bien dit : l’origine du nom, à rapprocher du patronyme du plus célèbre citoyen d’aquitaine Michel Eyquem de Montaigne, à moins que ce ne soit un mot venu d’Arabie et qui signifie « colline heureuse », l’histoire de la famille, les Lur venus de Franconie et les Saluces du Piémont, l’invention du Sauternes au 16è siècle à Yquem avec le fameux botrytis espéré, encouragé ou au contraire fruit de vendanges retardées et accident heureux de l’histoire. Ce champignon microscopique qui fait disparaître tous les végétaux mais qui fait renaître et sublime le raisin …

Avec toujours cette incroyable dualité, cette part d’ombre et de mystère, comme si Yquem aux multiples facettes ne pouvait se contenter d’une seule version.
Idem pour les cépages, surtout sémillon mais aussi sauvignon, idem pour les éléments sucrés immédiatement contrebalancés par des touches de fraîcheur voire d’acidité … idem pour le château ou est-ce une ferme fortifiée qui conjugue à la perfection majesté et simplicité, classe et modestie dénuée de tout faux semblant, un vin paysan, pour ainsi dire, né d’un terroir divin ! Idem pour les soins immenses apportés à la vigne qui fait produire à ces 100 hectares seulement quelques 80 000 bouteilles de nectar …

Ne comptez pas sur moi pour vous livrer toutes les clés de ce vin Janus. La seule piste de réflexion que je peux creuser aujourd’hui avec vous c’est peut être un dernier paradoxe : plus que jamais, le château d’Yquem est moderne et jeune.
Bien sûr pensez vous c’est à cause de Pierre Lurton, cet éternel jeune homme qui ose s’attaquer aux mythes ici, ou là bas, et les époussettes (je ne dirais pas les dépoussières) avec l’expérience d’un grand professionnel et l’enthousiasme d’un amoureux passionné.

Il sera pour beaucoup, certes, dans les secrets du succès de la nouvelle vie de ce phénix d’Yquem. Mais il sait déjà qu’il n’en sera que le passeur, l’accompagnateur et un peu l’alchimiste, qui continuera chaque année à transformer chaque pied de vigne en un verre de vin d’or, avec cette émouvante et magnifique régularité. Car Yquem est au-delà de la mesure humaine. Déjà le millésime que nous goûtons a toutes chances de nous survivre voire même d’être encore plus somptueux au fil des ans.

Après un été chaud et sec, un mois de septembre pluvieux, des vendanges de 14 jours seulement mais ô combien précises avec le retour du beau temps et la montée des concentrations, ce millésime hors norme laisse présager une évolution longue, voire même très longue …

1995 est à Yquem une année puissante avec un raffinement de texture incomparable : j’y trouve du miel, des fruits confits, la pêche, l’abricot, la mirabelle, le coing, la mangue et la figue. La complexité des saveurs est toujours ce qui nous sidère le plus, avec la longueur des Caudalies, les histoires que ce vin nous conte une fois qu’on l’a avalé …

Le dessert qui accompagne Yquem est une heureuse surprise. Souvent les pâtissiers sont comme les commentateurs : impressionnés par ce vin unique, ils en font trop, passent à côté. Pas aujourd’hui, même si je reste persuadée qu’Yquem, au-delà de tous les autres, reste le vin à emporter sur une île déserte, à boire seul. Yquem c’est le vrai luxe, qui comble tous les sens, avec les pieds dans le terroir et la tête dans les étoiles. Nombreux sont ceux qui voudraient qu’après leur mort, leurs cendres soient dispersées sur la colline inspirée … Personnellement je préférerai être réincarnée dans un verre d’Yquem.