Château Giscours 1995
Rouge, Margaux, 1995
Commenté par Monsieur Jacques Rigaud
On ne peut parler du millésime 1995 de Château GISCOURS sans se référer à la glorieuse histoire du patrimoine des vins de Bordeaux dont il est l’un des fleurons.
Dès le XIV° siècle, on repère au cœur de cette contrée du Médoc alors sauvage et peu hospitalière un donjon défensif. C’est en 1552 qu’un riche drapier bordelais, Pierre de LHOMME en fait l’acquisition et plante là de la vigne. Des générations vont la faire prospérer jusqu’au XIX° siècle, y édifiant un de ces châteaux qui sont la noblesse du Médoc. Madame Nicole TARI m’a appris ce soir que le Château GISCOURS venait d’être inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques – ce dont il faut se réjouir et l’en féliciter. Quant au vin lui-même, il figure en tant que MARGAUX parmi les grands crus classés en 1855 – autre classement prestigieux.
C’est en 1952, soit quatre siècles exactement après la plantation du vignoble, que Nicolas TARI acquiert Château GISCOURS qui demeure la propriété de sa famille, sous la responsabilité de son petit-fils Nicolas HEETER-TARI. Ce n’est décidément pas par hasard que nous parlons ici de « millésimes » : nos vins, produits des saisons, s’inscrivent nécessairement dans la longue, très longue durée.
Le domaine de Château GISCOURS est de 80 hectares en production. Son encépagement est de 60% en Cabernet Sauvignon, 32% en Merlot, 5% en Cabernet Franc et 3% en Petit Verdot. L’élevage en barriques (dont 50% en bois neuf du Centre de la France) est de 15 à 18 mois. L’assemblage est de 60% Cabernet Sauvignon et 40% Merlot.
Parvenu à ce point de ma présentation, il me faut vous faire un aveu. Je ne suis pas un professionnel du vin, mais un amateur assurément très motivé, sinon éclairé. Je suis toujours très impressionné par le caractère savant et subtil des commentaires que les spécialistes consacrent aux grands vins de Bordeaux. C’est le cas notamment de la fiche que l’Académie m’a communiquée au sujet de ce Giscours 1995. Je renonce donc à faire le malin et vais vous lire ce commentaire.
« Sa couleur rouge rubis aux reflets ambrés éclatants est une gracieuse invitation à la dégustation.
Son nez est élégant et tout en finesse mêlant des arômes subtilement mentholés de notes de cuirs et de sous-bois.
La souplesse des tanins fondus par le temps est balancée par une belle attaque fraîche.
Finale persistante aux arômes de fruits confis mêlés par des parfums aux notes acidulées.
Dévoilant tous ces charmes, ce millésime 1995 est à déguster dès à présent. »
On ne saurait mieux dire. Ce texte, daté de février 2010, je m’en serais voulu de le paraphraser, tant il exprime avec une élégance bien française, à la fois précise et poétique, les charmes de ce grand vin. Je veux cependant vous faire part de mon trouble. Quand je lis ce texte, ou d’autres de même facture, je ne puis me déprendre d’une certaine perplexité. Des « cuirs », des « sous-bois », des « fruits confis », du « menthol » : « où vont-ils chercher tout çà ? …toute cette épicerie et ces cuirs et sous-bois », me dis-je intérieurement. Je serais incapable d’imaginer ces références, même dans l’extase où me plonge ma dégustation. Je ne sais si je dois admirer la puissance analytique des dégustateurs professionnels ou leur imagination de poètes du vin. Ce qui est sûr en tout cas, c’est leur parfaite maîtrise de la langue française. Mais justement : ne m’arrive-t-il pas, à moi qui vous parle, de noter des saveurs aillées chez Montaigne, ou vineuses et viandesques chez Rabelais ? ou encore de sentir des vibrations d’orgue quand je lis Bossuet ? ou de savourer la clarté cristalline d’un vers de Racine ? ou encore de percevoir des touches épicées de clavecin chez Voltaire ?
A chacun ses énigmes et sa fantaisie où le corps et l’esprit se conjuguent pour nous aider à dépasser, à transcender les apparences. Un grand vin, comme un grand texte nous porte aux limites de nos sens et de nos facultés.
C’est peut-être cela, l’humanisme.