24/06/2008

Château Haut Brion 1995

Rouge, Pessac - Leognan, 1995

Commenté par Professeur Jean-Pierre Poussou

Avant d’ouvrir le ban de cette journée du 60ème anniversaire je veux vous remercier tous de votre présence…

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur et une émotion de commenter ce Haut-Brion.

Haut-Brion, c’est en effet un lieu, un domaine et c’est aussi et surtout pour un historien, un vin qui a une importance historique absolument considérable.
Je ne peux pas ici ne pas rappeler la mémoire de René Pijassou, qui était un excellent ami et que j’ai très bien connu et qui nous a montré comment, à la fin du XVIIe siècle, les pentacles de Haut-Brion ont changé littéralement la manière de concevoir le vin rouge, plutôt de le boire et ont créé une nouvelle façon de boire et d’apprécier nos vins rouges. Une nouvelle façon de les apprécier qui me permet, si vous le voulez bien, de souligner à quel point le rôle des Anglais à la fin du XVIIe et XVIIIe siècle est considérable pour tous ceux qui s’intéressent au vin, car nous leur devons tout de même le Xérès, le Madère, le Porto.

Le marché anglais est très largement responsable, il n’est pas seul parce que Paris a beaucoup joué, la cour aussi d’ailleurs, de l’essor du Champagne à un moment donné et en ce qui concerne nos grands vins rouges, et bien il y a là une direction absolument privilégiée au point d’ailleurs, si vous regardez des caves à vin parisiennes au XVIIIe siècle, j’en ai vu un certain nombre, que trouve-t-on dans les caves parisiennes ? Pratiquement pas de Bordeaux, essentiellement des Bourgogne, même aussi tard que vers 1800, pourquoi ?Parce que ces vins vont essentiellement vers les marchés anglais ou vers les marchés du nord, ce qui est quelque chose d’extrêmement bien connu.

C’est aussi le souvenir, Haut-Brion, d’un très grand ambassadeur, et c’est aussi, en ce qui me concerne, le souvenir quand j’étais recteur de l’Académie de Bordeaux, d’une magnifique réception donnée par la Duchesse de Mouchy à l’automne de 1988.
C’est également avoir à parler d’un très grand vin. On ne représente plus Haut-Brion, Haut-Brion qui est aujourd’hui un domaine de ville, comme La Mission, comme Le Pape Clément, géré superbement par la famille Delmas, qui nous rappelle une très grande tradition, la grande tradition si fréquente aussi à Bordeaux des grands régisseurs ou des grands directeurs d’exploitation, une lignée qui a compté énormément, nous l’avons vu d’ailleurs ce matin dans le film qui nous a été présenté.

Haut-Brion, c’est un sol de Graves, bien sûr, avec un sous-sol argilo-sableux, ce qui assure une bonne circulation de l’eau et c’est quelque chose qui est important pour l’année qui nous intéresse.

C’est un vin avec près de la moitié de Cabernet Sauvignon, 45 %, près de la moitié de Merlot, 45 %, et 10 % de Cabernet Franc, peut-être peut-on penser que cela aide à l’équilibre de ce vin.
1995, au départ une vendange qui rend soucieux, car le printemps a été sec et chaud, l’été a également été sec et chaud et il y a eu de fortes pluies à la mi-septembre, ce qui aurait pu véritablement compromettre la vendange, mais justement à Haut-Brion, cela n’a pas été très gênant, car les fortes pluies n’ont pas eu de conséquences négatives. La récolte fut mûre et saine, nous disent les rapports que nous avons de l’époque et tous les commentateurs, cependant, s’accordèrent en 1996-97-98 pour dire que c’était un vin qu’il fallait laisser grandir, qui révélait déjà une belle robe, beaucoup de tanins, du fruité, mais qui encore avait besoin d’attendre pour se révéler.
Il a effectivement tenu toutes ses promesses. Vous avez un vin d’une très belle couleur, une couleur rubis pourpre foncé véritablement, un mélange d’aromates fruités et épicés et il y a tout un arrière-goût dans la bouche qui est tout à fait remarquable, avec également un soupçon de fumé qui plaît à certains des commentateurs au cours des différentes années, qui en gêne davantage d’autres, mais qui, je crois, réussit extrêmement bien.

Nous avons un vin moyennement corsé, mais très fin qui fait partie des grands Bordeaux et je crois que ses caractéristiques sont sans doute l’équilibre, l’importance de ces arômes fruités et une attaque en bouche qui, semble-t-il, du moins à mon goût, est tout à fait remarquable. Donc à boire déjà, mais aussi à garder encore pour une génération tout autant. Je signalerai donc à Jacques Rigaud qu’après tout, il peut s’en servir et pour sa cave et dès à présent et aussi pour ses petits-enfants.