Château Malartic-Lagravière 2006
Blanc sec, Pessac - Leognan, 2006
Commenté par Jean-Pierre Rousseau, Société DIVA
Merci à Pierre, célèbre lutin bordelais, amateur de calembours bien connu, grand lecteur de Frédéric Dard, qui n’est peut-être pas le plus prisé à Malagar, mais qui avait cette immense qualité d’être absolument fou de Château d’Yquem et l’évoquait souvent.
Je vais dire deux mots, puisque tu as eu la modestie de ne pas le faire, de cet Y magnifique dont tu nous as régalés. Pour ceux qui l’ignoreraient, Y est un vin sec, fait à Yquem avec des raisins non botrytisés, des raisins qui n’ont pas été attaqués par la pourriture noble, et qui a donc ce côté à la fois très riche, qui pourrait faire penser à un vin légèrement liquoreux alors qu’il est quasi totalement sec. Une bouteille absolument exceptionnelle et très rare. Merci Pierre, et j’ai vu que tu nous gâtais aussi pour la finale avec un 1950. Nous reconnaissons bien là ta générosité légendaire.
Mais bien sûr, ce soir, c’est François Mauriac que je vais citer sous différentes formes. Et comme disait le Grand Chancelier tout à l’heure, n’hésitez pas à manger : quelques bruits de fourchette accompagnent parfaitement les discours.
Evidemment, Mauriac a parlé d’Yquem de manière poétique. Une phrase très courte : « Les étés d’autrefois brûlent dans les bouteilles d’Yquem. »
Tout est dit ! Yquem, ce n’est pas seulement le goût, c’est aussi une couleur qui part de l’or à chaud et qui va vers l’ambré, qui termine vers les rougeoiements dont parlait justement Mauriac, des bouteilles exceptionnelles.
Mais ma tâche aujourd’hui était de commenter Malartic, le premier vin sec que vous avez goûté. Juste quelques renseignements techniques : 90 % sauvignon, 10 % Sémillon. Une propriété de 7 hectares de blanc, 53 hectares au total, propriété qui appartenait à un Amiral de la flotte française qui a combattu sous Louis XV et sous Louis XVI, un Monsieur de grande qualité. Il est de tradition à Bordeaux d’accoler son nom à un terroir. Le terroir était Lagravière, l’Amiral Malartic.
Depuis, une histoire qui a beaucoup vu de propriétaires. Le propriétaire traditionnel ou historique était Monsieur Marly qui est resté encore plus longtemps que Jacques Chaban-Delmas à la mairie de Bordeaux – un record ! Il a ensuite lâché la main à la famille propriétaire de Laurent-Perrier, la famille de Nonancourt qui l’a gardé quelque temps, le temps de s’apercevoir que (comme on dit dans le vin) pour faire une petite fortune, il vaut mieux commencer avec une grosse fortune. Quelque chose que sait, je pense, la famille Bonnie – et ce n’est pas Véronique, responsable financière du domaine qui est ici, qui me démentira. Un vin comme celui-ci nécessite des investissements considérables. La propriété a été refaite de fond en comble avec des systèmes techniques absolument magnifiques que, je vous rassure, je ne vais pas vous détailler.
Tout cela pour arriver à ce vin qui, après presque dix ans, est toujours crispy, comme disent les Anglais. Il est toujours vif, il est toujours élégant. Le propre des grands vins, blancs comme rouges, étant de vieillir, et les propriétés de Pessac-Léognan y excellent particulièrement.
Que vous dire de plus ? Peut-être citer Mauriac à nouveau, parfois jaloux : « Ma tante m’enseignait qu’il est misérable de s’adonner à tout autre commerce que celui du vin. », métier que je pratique évidemment, métier de négociant, toujours très mal vu. Et il disait aussi de manière un peu ironique : « Depuis que les Tuileries ont brûlé, la noblesse de France a perdu son emploi mais les chais de Bordeaux sont éternels, le vin royal de chez nous a le don d’ennoblir les familles qui le servent. » Bien sûr, il est de tradition chez les milliardaires – voire les millionnaires – du monde entier d’investir à Bordeaux.
D’ailleurs, Pierre, un petit scoop : il semblerait que le Baron Frère ne soit plus l’homme le plus riche de Belgique puisqu’un Flamand est en train de le coiffer sur le poteau. C’est ainsi. Sic transit gloria mundi.
Enfin, peut-être une dernière citation : franchement critique celle-ci, toujours à propos de ma profession ! « Cette profession confère ici une sorte de noblesse. Ils ont de larges costumes anglais, s’intéressent au football. Ils ne lisent jamais et n’ont vu d’autres peintures que celle de leurs étonnants barbouilleurs locaux. Ils ne voyagent pas, ayant tous propriété à Pessac. Beaucoup vont cependant à Arcachon, c’est pour eux le bout du monde. » Et je crois que nous pouvons encore appliquer cela à un certain nombre de Bordelais, et pas seulement aux négociants.
Pour terminer, peut-être André Maurois, un peu lapidaire mais plus agréable à entendre : « Les civilisations du vin sont fines et délicates. C’est qu’elles respectent les plus précieuses valeurs humaines : le temps, la patience, le goût, le jugement. » Merci.