07/10/2004

Château Pichon Longueville Comtesse De Lalande 1990

Rouge, Pauillac, 1990

Commenté par Jean Tavernier

Le 7 octobre 2004, dans le cadre de la rencontre autour de la gastronomie bordelaise et des villes portuaires, événement initié par la Mairie de Bordeaux, l’Académie du Vin de Bordeaux a accueilli, au Domaine de Chevalier à Léognan, les universitaires qui ont animé les différents colloques sur les traditions culinaires et les cuisines portuaires. A l’occasion de cette rencontre, Monsieur Jacques Rigaud, Conseiller d’Etat honoraire, ancien Président de RTL, invité d’honneur de l’Académie du Vin de Bordeaux, a été nommé Académicien du Vin de Bordeaux par le Grand Chancelier, Madame May-Eliane de Lencquesaing. Monsieur Rigaud rejoint ainsi les 40 Académiciens du Vin de Bordeaux qui unissent le rayonnement intellectuel à l’amitié pour le vin de Bordeaux.

Quel honneur de pouvoir commenter ce Pichon-Longueville Comtesse de Lalande 1990 devant une assemblée de connaisseurs ; mais aussi quelle outrecuidance pour le médecin que je suis d’avoir accepté cette mission délicate, cédant ainsi à l’amicale proposition d’Olivier Bernard.

Chers amis, je sollicite votre indulgence ; je remercie Madame de Lencquesaing de son soutien et Daniel Lawton de ses conseils.

Ce vin est né, a été élaboré et élevé sur une terre acquise par Pierre de Rauzan en 1689. Le nom de
Pichon-Longueville est apporté par sa fille Thérèse, qui épouse Jacques de Pichon-Longueville, président du Parlement de Bordeaux.

Ce magnifique vignoble de « quarante parcelles bien graveleuses » reste en l’état pendant un siècle et demi et c’est en 1850 à la mort du Baron Joseph que l’inévitable partage entre les héritiers donnera naissance aux deux appellations : Comtesse de Lalande et Baron.

Parmi les trois héritiers, c’est justement Virginie, devenue Comtesse de Lalande qui devient propriétaire du Château.

Amoureuse de son vin, elle entreprend de grands travaux et améliore la vinification ; c’est grâce à son action que la classification de 1855 permet l’accession de Comtesse de Lalande au rang envié de
« Second Cru Classé ».

En 1925, la propriété est achetée par Louis et Edouard Miailhe. La fille d’Edouard, May-Eliane, la reçoit en héritage en 1928. Très vite, elle retrouve l’esprit qui anima Virginie de Lalande : elle entreprend de grands travaux et sait allier méthodes modernes et traditionnelles de vinification. La haute technologie du domaine, se reflète dans les 33 cuves en inox, thermorégulées, qui permettent à partir des années 1980, une progression constante de la qualité, permettant à ce cru, d’atteindre les plus hauts sommets de la réputation.

On peut dire que se sont deux femmes : Virginie de Pichon-Longueville Comtesse de Lalande en 1850 et May-Eliane Miailhe, Générale de Lencquesaing en 1980 qui ont amené ce cru prestigieux de Pauillac, par un travail long et obstiné, au tout premier rang du renom mondial.

Rappelons que ce domaine s’étend sur 75 hectares, jouxtant le prestigieux Château Latour et que la particularité de posséder 11 hectares sur la commune de Saint-Julien, lui confère un caractère unique d’élégance et de souplesse, parmi les grands crus de Pauillac.

Le sol est fait de Graves sur argiles, ce qui favorise un excellent drainage. L’harmonie et la variété des cépages sont uniques dans l’appellation Pauillac : structure et charpente avec le Cabernet Sauvignon (45%), rondeur et souplesse avec le Merlot (35%), équilibre et bouquet avec le Cabernet Franc (12%), fraîcheur et complexité aromatique avec le Petit Verdot (8%).

Les conditions climatiques en 1990, furent particulières, dominées presque tout le long de l’année par la chaleur et la sécheresse.
L’hiver fut très doux et très sec : la vigne pousse donc très précocement et très vite. Pas de fortes gelées.
Le printemps reste exceptionnellement chaud : le 31 mars 1990, plus de 5 000 hectares de pins flambent à Salaunes et Carcans.
Quelques gros orages fin mai et début juin.
Les premières fleurs arrivent le 16 mai et la pleine fleur est très précoce : le 26 mai 1990.
L’été est torride (39° le 21 juillet). Les bordelais se souviennent d’ailleurs de l’été de la Cutty Sark où les grands voiliers du monde cinglent vers le Port de la Lune, sous un soleil éclatant. A cause de la sécheresse, la véraison est lente, irrégulière et étalée. Demi véraison le 6 août. Quelques pluies début septembre et le cycle végétal repart. La vendange, abondante, s’étale du 21 septembre au 7 octobre.
La qualité et la quantité sont présentes et on le comprend.
Le millésime est prometteur.
Puis arriveront l’automne et l’hiver avec leur lot de froidure et de pluie : mais aussi de tristesse avec le décès du Général de Lencquesaing.

Ce vin fait partie des trois années glorieuses 1988, 1989, 1990.
La robe est de belle intensité.

Le premier nez rappelle des notes de fumé puis il évolue vers des parfums de boisé fin et élégant ou se mêlent des arômes de cèdre et de réglisse.

Cette partie olfactive de l’appréciation d’un vin est fondamentale. Nous devons rendre hommage aux professionnels du vin qui ont démontré, de par leur pratique, que l’olfaction n’est pas une fonction sensorielle archaïque, comme Freud l’a prétendu. Bien au contraire, le 4 octobre, le prix de physiologie et de médecine, a été attribué à deux américains, Richard Axel et Linda Buck, surnommés les
« Nobels de l’Odorat », pour leurs travaux sur la physiologie de l’olfaction. De nouveaux concepts émergents vont rendre, à cette fonction sensorielle, ses lettres de noblesse scientifiques ; confirmant l’intérêt porté depuis toujours par le Monde du Vin.

En bouche, ce vin s’affirme puissant et ample, avec des tannins de grande maturité, et des saveurs de fruits mûrs et de boisé, se déployant vers une finale complexe et longue en bouche.
Il est intéressant de noter, en relisant des notes de dégustation antérieures que ce merveilleux vin présente aujourd’hui un équilibre parfait entre finesse et élégance dominantes au cours des premières années et puissance et richesse s’affirmant et se développant avec le temps.

En somme, un grand vin élégant et structuré dont la belle richesse tannique autorise les meilleures évolutions.

Château Pichon-Longueville