07/02/2012

Château Rieussec 1989

Blanc liquoreux, Margaux, 1989

Commenté par Professeur Jean-Pierre Poussou

Conférence de Monsieur Gilles Cosson et dîner-dégustation au Château Malartic-Lagravière

Je dirai que pour apprécier ce vin, il faut d’abord le regarder et le voir : aussitôt,  on a une idée de ce qu’est la beauté en soi. Cette couleur dorée qui caractérise parfaitement les grands Sauternes, en particulier ce Rieussec, est déjà en soi un indice. On a là quelque chose qui est pratiquement de la couleur dorée  pure. Puis, vous allez le voir en le goûtant, c’est un vin qui est d’attaque très forte dans le fond de la bouche mais qui, en même temps, reste prégnant et présent pendant un long moment, occupant toutes  nos sensations.
C’est  donc un Rieussec 1989. Rieussec est un des plus grands domaines du Sauternes puisque la propriété est de 92 hectares ; il a été classé premier cru de Sauternes en 1855. Comme cela a souvent été le cas, c’est un domaine d’origine ecclésiastique. Au XVIIIème siècle, il appartenait aux Carmes de Langon. Actuellement, il fait partie du domaine Rothschild Lafite, qui préside aux destinées de Rieussec depuis 1984.Dans ce vignoble, le Sémillon est essentiel puisqu’il représente 90 % du cépage ; mais le Sauvignon (7%) et la Muscadelle (3%) lui apportent plus qu’une pointe.

Rieussec 1989 est également une année qui nous intéresse beaucoup, parce que c’est une année qui a été très sèche, aussi bien en hiver qu’en été, et qui, en même temps, a eu suffisamment d’humidité pour que le raisin donne un excellent résultat, comme vous pouvez l’apprécier, ce qui me fait espérer que l’année 2012 sera dans les mêmes caractéristiques et nous donnera des choses aussi remarquables.
Bien entendu, comme il se doit en Sauternais, c’est un vin qui a subi les tries successives entre le 12 septembre et le 20 octobre. Il y a eu quatre tries. Je vous rappelle aussi que nous sommes dans un domaine qui est celui de la pourriture noble et des  grands vins blancs doux du Sauternais.
De ces grands vins blancs du Sauternais, vous me permettrez de dire un mot d’histoire car c’est tout à fait nécessaire. Dans les recherches historiques qui sont menées maintenant, nous nous rendons de plus en plus compte qu’avant même le Médoc sans doute, le Sauternais a déjà changé ses habitudes de vinification, à des dates qui demandent à être précisées mais qui ne le seront peut-être pas, d’ailleurs, faute de documents. L’historien sait au moins une chose, c’est qu’il ne sait pas tout et qu’il y a des domaines ou des choses qu’il ne saura jamais, ce qui est parfois un peu attristant et peut poser quelque problème au point de vue philosophique ou au point de vue personnel mais, après tout, il faut le surmonter. C’est entre les années 1570-1580 et 1640 que l’on a déjà commencé à changer la vinification dans le Sauternes et que l’on est allé vers ces vins modernes que nous connaissons.
En 1966, j’ai eu le bonheur de trouver un texte qui était totalement oublié et qui était l’inventaire des vins ayant été faits pour le mariage de Mademoiselle de Sauvage d’Yquem et de Monsieur de Lur-Saluces en 1785, l’année où le domaine est entré dans la famille de Lur-Saluces. Cette année-là, les vins les plus chers étaient des vins qui avaient 40 ans. Mon excellent ami René Pijassou m’a dit, sur le moment, que ce n’était pas possible, mais c’était de sa part un réflexe au nom de la vraisemblance car à l’époque on ne pensait pas que c’était possible. Aujourd’hui, il est clair que les documents sont là, et qu’il faut bien accepter cette constatation. Déjà, de grands de vins de garde travaillés étaient donc les plus chers.
Le résultat de ces pratiques, de ces longues mises au point, nous l’avons dans notre verre de Rieussec. Nous sommes devant la noblesse absolue d’un vin hors catégorie, qui demande un entretien extraordinaire, qui demande aussi que l’on renonce à faire de la production si l’on estime qu’elle n’est pas bonne, et qui, quand elle est réussie, nous donne ce sauternes qui ne nous quitte plus en bouche, qui a des saveurs de fruit que nous pouvons parfaitement trouver en le dégustant, et qui nous laisse un souvenir gustatif à nul autre pareil, où se mélangent des arrière-goûts de miel et de pain d’épice, sur un fond d’agrumes dominant ; surtout, comme je le soulignais tout à l’heure, ces saveurs gustatives emplissent toute la bouche en ne cessant de se prolonger Je crois que même s’il y a ailleurs que dans notre Sauternais d’autres vins blancs doux  liquoreux, il est cependant très difficile d’égaler ce que représente le Sauternes. Rieussec, qui est à la limite des communes de Fargues et de Sauternes. Ce domaine contigu à Yquem, est  bien un des  joyaux du Sauternais.