Conférence de Son Excellence Monsieur Christiaan Kröner, ambassadeur des Pays-Bas, au Château Brane-Cantenac et Château Palmer
Je considère comme un grand privilège de pouvoir m’adresser à vous sur un sujet qui me fascine. Il s’agit plus précisément de la façon dont nous espérons, dans un proche futur, sécuriser le processus d’unification de cette grande Europe
Les Pays-Bas, la France et l’Europe :
Monsieur Le Grand Chancelier,
Messieurs Les Académiciens,
Madame,
Monsieur,
Je considère comme un grand privilège de pouvoir m’adresser à vous sur un sujet qui me fascine.
Il s’agit plus précisément de la façon dont nous espérons, dans un proche futur, sécuriser le processus d’unification de cette grande Europe . Ou, mieux encore, faire en sorte que ce processus puisse continuer à évoluer comme l’avait perçu entre autre Robert Schuman ou, pour le dire différemment veiller à ce que notre rêve européen soit préservé. Il s’agit aussi de la façon dont nous comptons faire fonctionner cette grande Europe, dans le futur, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières.
C’est dans cette nouvelle perspective que je veux parler de la relation entre votre pays et le mien.
Relations bilatérales
La façon dont votre pays en général perçoit les Pays-Bas, est une combinaison d’admiration et d’irritation.
L’admiration vient d’abord de notre richesse culturelle à l’époque de l’âge d’or de la peinture hollandaise, de notre succès commercial, de notre pragmatisme et de notre persévérance, pour ne pas dire de notre obstination.
L’irritation vient, en premier lieu, sans doute de cette dernière ; ensuite, du fameux laxisme, du manque de bienséance, du fait que nos touristes ne dépensent pas leur argent dans vos restaurants (ce qui est, d’après mon intime conviction, une grave erreur), ensuite de notre expérimentation sociale ce qui nous a valu d’être qualifié de « laboratoire de l’Europe », mais surtout de la drogue. Pour le dire d’une autre façon : tout ce que le bon dieu a interdit en France, est admis aux Pays-Bas.
Ceci dit, il se peut que, dans cette irritation, il y ait un peu de jalousie. Par exemple, nous étions déjà une république quand la France étouffait sous le poids de la monarchie absolue, et, comme vous le savez bien, engendrait la Révolution.
Aujourd’hui, vous êtes une république et nous sommes une monarchie : encore une raison d’être jaloux !
Dans le passé, nous nous sommes battus contre les troupes de Louis XIV et, plus tard, contre celles de Napoléon en nous unissant à Waterloo avec les anglais et les allemands. A l’exception de la courte période d’union avec la Bourgogne, dans l’ensemble notre histoire commune n’est pas très florissante.
Un revirement s’est pourtant présenté à la fin de la seconde guerre mondiale et le traité de Rome a donné l’impulsion à notre nouvelle Europe. Nous sommes fiers d’appartenir, avec vous, au groupe des six membres fondateurs. Ceci dit il faut, quand même, admettre que les cinquante dernières années ne représentent pas une période de grande passion. En effet, les Pays-Bas se sont rendus coupables à vos yeux, en faisant rentrer la Grande Bretagne, mais pire encore, nos visions respectives de l’Europe se heurtaient : vous avez foi en une Europe avec une physionomie confédérale forte, tandis que nous, aux Pays-Bas, nous croyons en une Europe avec des caractéristiques communautaires fortes.
Certes, il y a bien eu quelques évolutions dans la convention européenne mais nos points de vue restaient, malgré tout, essentiellement les mêmes.
C’est depuis peu, plus précisément depuis le début de ce millénaire, que quelque chose a changé.
La visite officielle de votre président Monsieur Chirac en 2000 a eu beaucoup de succès et elle a mis fin à la guerre de « la drogue ». Elle a été le début d’un nouveau départ dans nos relations bilatérales. Comme le dit notre proverbe : « les petits ruisseaux font les grandes rivières ». Le Président Chirac a été sans doute impressionné par le succès du Polder modèle, par l’hyper modernité de notre industrie et, peut-être aussi, par la façon dont notre économie traditionnellement ouverte a réagi à la mondialisation. Mais, ce qui l’a sans doute encore plus impressionné, a été le fait que notre Reine se soit adressée à lui en français puisqu’elle a également prononcé son discours officiel dans sa langue.
Un autre sujet de désaccord historique entre nous a été celui concernant la défense européenne.
Ceci est directement lié à la Guerre Froide. Le changement radical dans l’environnement stratégique dans lequel les Pays-Bas et la France se trouvent depuis lors, explique pourquoi aujourd’hui nous nous intéressons à la Défense européenne même si sur le plan diplomatique, nous ne partageons pas encore les mêmes idées sur la relation entre la Défense Européenne et l’Otan.
Renaissance du « bilatéralisme en fonction de la construction européenne »
Au début de mon intervention, je vous ai parlé du rêve européen des « pères fondateurs ».
Nos deux pays sont pour l’élargissement, mais nous voulons, en même temps, empêché que notre « acquis » commun et nos efforts pour élargir cet acquis, s’évanouissent. Je veux dire en terme diplomatique, que de plus en plus, avec des pays qui pensent comme nous sur une base ad hoc, c’est-à-dire désormais dépendant de ce sujet, nous sommes obligés de conclure des alliances temporaires pour servir de façon optimale nos intérêts communs. Etant donné que nous passons de six à vingt-cinq, l’importance de la diplomatie va croissante. La nécessité de ceci avait, si l’on veut, été reconnue par anticipation dans le Traité d’Amsterdam et par le Traité de Nice. Il s’agit de la « coopération renforcée ».
Pour éviter de nous enliser avec le plus petit dénominateur commun, les membres qui le désirent peuvent désormais avancer, les parties tiers peuvent librement décider de se joindre ou non à cette initiative. L’importance de cette possibilité, ou plutôt la nécessité de s’en servir, doit être soulignée.
Dans l’Europe élargie, le poids relatif de quelques uns de nos membres pourra évoluer : les Pays-Bas qui étaient toujours le plus grand parmi les petits et l’Italie le plus petit parmi les grands. Cette situation changera sans doute après l’élargissement. C’est bien cette constatation parmi les autres qui, elle aussi, nous obligera à une diplomatie bilatérale plus performante. Il ne s’agit pas bien sûr de refaire le congrès de Vienne. Mais il sera obligatoire d’utiliser les moyens de la diplomatie bilatérale classique afin de pouvoir continuer à construire notre Europe.
Les relations franco-néerlandaises dans le futur
C’est dans cette perspective, et basé sur cette argumentation, qu’au début de l’année nos deux pays ont décidé de donner un nouvel élan à notre coopération bilatérale en identifiant de nouvelles formes de coopération à l’intérieur et à l’extérieur de l’agenda européen. Un relevé de conclusions, agréé par nos deux ministres des Affaires étrangères en fait la preuve. L’essentiel est d’arriver à une meilleur compréhension de nos deux pays respectifs et de corriger l’image que nous avons l’un de l’autre. Beaucoup de problèmes auxquels nos sociétés civiles sont confrontées et tentent de surmonter aujourd’hui, sont souvent identiques. Une meilleure connaissance de l’un et de l’autre rendra possible un partage des connaissances et des expériences et peut mener à plus de compréhension et donc de respect.
Il va de soi que cette nouvelle coopération bilatérale envisagée à l’intérieur et à l’extérieur de l’agenda européen, doit profiter d’un tel développement.
En conclusion
Nous nous trouvons à la veille d’une nouvelle grande aventure européenne. Les Pays-Bas et la France attachent une importance particulière à sécuriser cette nouvelle phase du processus afin qu’elle devienne un succès. Cette ambition commune rapproche nos deux pays plus que jamais, autant dire que pour nous diplomates, ceci représente un nouveau défi professionnel majeur à prendre à bras le corps.