Dîner au Château Mouton Rothschild
Entrée officielle de la Baronne Philippine de Rothschild, du Baron Frère, en qualité d’Académiciens, de Monsieur Jacques Rigaud en qualité de Membre Correspondant
Entrée officielle de la Baronne Philipinne de Rothschild en qualité d’Académicienne
Chère Philippine,
Nous sommes très heureux de vous accueillir chez vous, en quelque sorte, de deux façons. D’abord vous nous prêtez Mouton, à nous l’Académie du vin de Bordeaux, Mouton où vous êtes chez vous, et ceci pour vous recevoir officiellement dans cette Académie dont vous êtes également un membre.
Mouton est en effet un membre associé de l’Académie, terme qui recouvre l’appartenance d’un cru notable à cette institution girondine.
L’Académie se fonde sur une centaine de crus parmi les plus réputés de la Gironde, ce sont les membres associés qui comprennent également les négociants les plus en vue et les courtiers les plus en vogue, si je peux m’exprimer ainsi.
Evidemment, Mouton fait partie des crus notables, mais le Conseil de l’Académie a souhaité aller plus loin dans nos relations. Il a donc proposé aux académiciens de voter votre cooptation au titre d’académicien, plus exactement d’académicienne ; les 40 ont accueilli sans hésitation cette suggestion.
Notre institution s’est donnée pour mission, je voulais le rappeler, de recueillir, d’inventorier, de célébrer et de transmettre ce qui fait des grands vins de Bordeaux l’expression d’une civilisation. Seul un pays civilisé, a pu inventer le raffinement qui conduit à l’élaboration des grands vins.
Réciproquement, nos bouteilles expriment, illustrent cette civilisation. Leur usage raisonné d’un fait de civilisation, comme l’est l’habitude de se réunir autour d’un grand vin, l’art de vivre en société d’une manière raffinée, de partager un flacon auquel s’attache une histoire annexionniste. Le temps et l’espace sont conviés dans l’élaboration d’une grande bouteille, puisqu’elle ne peut naître n’importe où. Le cadastre viticole et les décrets qui nous régissent en font foi. Une grande bouteille ne peut naître n’importe quand. Le temps, sous ses deux acceptions, doit être respecté, qu’il soit météorologique ou celui du choix de l’heure et du jour dans lesquels interviendront les vendanges. Dans notre mission culturelle, humaniste en fait, nous avons besoin de vous, Philippine. Nous avons besoin de votre rayonnement, de votre créativité, de votre art, de vos talents. Vous apporterez beaucoup à ce regroupement des meilleurs vins de Bordeaux par votre imagination, mais aussi par votre lustre personnel et celui qui est attaché à Mouton.
Comment oublierait-on que cette propriété familiale a été considérablement valorisée par votre père qui a poursuivi et illustré cette idée que le vin devait être associé aux arts en général et à tout ce qui fait notre temps.
C’est une évidence maintenant, ce l’était certainement moins à l’époque où tout le Médoc, comme d’ailleurs tous les vins de Bordeaux souffrait d’un marché endormi et d’une diffusion difficile.
Philippe de Rothschild, à travers son amour du théâtre, sa passion pour la littérature, a associé le vin à la vie parisienne, comme à la vie des grandes villes américaines d’ailleurs, et son action a rejailli sur tout le Bordelais. Nous le comptons d’ailleurs, il faut le rappeler, parmi les fondateurs de l’Académie, comme en témoigne un tableau de Mac Avoy qu’Yquem a acquis d’ailleurs de Bernard Ginestet avant qu’il ne nous quitte.
Philippine, vous faites partie désormais des sages de l’Académie, c’est le nom que je donne aux académiciens. Ils sont constitués pour les deux tiers de professionnels du vin de Bordeaux et d’un tiers de non professionnels parmi lesquels Maurice Druon ne veut pas être compté, parce que, dit-il avec mauvaise foi, il boit du Bordeaux tous les jours. Une fois l’an, nous réunissons ces prestigieux académiciens qui sont en quelque sorte notre lien avec les talents qui font notre époque. Ce groupe de personnalités se doit d’être impliqué dans notre but social mais aussi de faire vivre ce groupe en nous suggérant de l’enrichir par l’accueil de nouvelles personnalités sous cet hymne de toujours mieux illustrer notre ambition et les grands vins de Bordeaux.
Sur ce thème, je suis sûr, Philippine, que vous nous apporterez une aide précieuse. Merci, chère Philippine d’avoir accepté de faire partie des 40 académiciens du vin de Bordeaux et merci chaleureusement de nous avoir prêté Mouton pour cette réception et en plus de nous y recevoir avec toute votre générosité et votre faste.
A. de Lur Saluces
Entrée officielle du Baron Frère en qualité d’Académicien
Cher Albert,
Par ma voix, l’Académie du Vin de Bordeaux est heureuse de vous accueillir et de vous remercier d’avoir accepté de vous associer à ses travaux. Vous n’aviez d’ailleurs pas beaucoup le choix tant vous semblez pré-destiné à cette fonction ou à ce titre comme on veut, d’académicien du vin de Bordeaux.
Baron Frère – Comte Alexandre de Lur Saluces
Au long d’une trajectoire faite de brillants succès dans toutes sortes de domaines qu’il n’est pas besoin d’énumérer, vous avez toujours fait une place particulière au vin, à la constitution de votre cave ou plutôt de vos caves. Vous aimez le vin. Vous en êtes un consommateur critique, subtil, averti. Lorsqu’on visite la réserve des grands restaurants parisiens et je soupçonne que la même chose doit se passer dans ceux de Bruxelles, sans doute de Londres et vraisemblablement de New York, on trouve dans un recoin discret une ou plusieurs caisses marquées Baron Frère, que le sommelier caresse du regard. Ce sont vos réserves stratégiques.
Monsieur Pérez de Cuellar ancien secrétaire de l’ONU qui était venu nous rendre visite à l’Académie, avait dit que pour lui, sa cave à l’ONU était son outil de travail. Il en est certainement de même pour vous. On peut se demander ce que les succès prodigieux de toutes vos entreprises doivent à l’art consommé que vous avez de servir et d’évoquer les vins que vous utilisez avec tant d’enthousiasme, de compétence et de discernement. Vous avez écrit quelques pages très intéressantes à cet égard dans la « Revue des 2 mondes » de janvier 2000. Vous y expliquez vos échecs dans votre quête d’un grand cru, vos angoisses en attendant le résultat de votre soumission pour l’acquisition de Cheval Blanc. On retrouve dans ces lignes les thèmes qui sont aussi ceux de nos préoccupations académiques. L’unicité du terroir mais aussi sa pérennité auxquelles correspondent, ou qui nous renvoient au plaisir et à la convivialité du vin.
Qui sommes nous, nous qui vous accueillons et qui avons souhaité vous associer à nos projets ? L’Académie veut recenser tout ce qui fait des grands vins de Bordeaux un fait de civilisation.
Les terroirs qui les voient naître sont uniques et ils sont perpétuels comme vous l’avez dit, ils n’ont pas à se renouveler, ils ont seulement à être entretenus et surtout à être aimés. Nous voulons faire remarquer que leur succès n’est pas le fait d’un hasard heureux mais le résultat du discernement de générations d’hommes et d’un dialogue fécond entre les amateurs et les viticulteurs.
Nous avons primé il y a quelques années un livre de David Haziot, « Le vin de la liberté », qui décrit très bien cette lente élaboration d’un vin et surtout de son terroir. Ce phénomène ne peut avoir lieu que dans un pays hautement civilisé. Il y a lieu de ne pas perdre de vue ce travail, cette gestation d’équipes d’hommes qui ont constitué empiriquement nos grands crus. De même, il est essentiel de dire ce qu’ont de différent ces vins issus d’un grand terroir et élaborés par des équipes dont l’attachement et le discernement sont les socles de cette qualité exceptionnelle qu’on nous envie.
L’usage de ces vins, c’est aussi l’usage de la vie en société. Il y a toute une pédagogie dans la vie sociale qui va avec le bon usage des grands vins.
Les collèges anglais enseignent tout cela depuis longtemps et je suis émerveillé de voir que depuis quelques courtes années, certaines de nos grandes écoles comportent maintenant des clubs d’étudiants très avides de s’informer et de trouver leurs repères parmi tous les vins de plus en plus nombreux et variés qui s’offrent à eux.
Bordeaux est la seule région au monde à avoir une Académie. Bien-sûr, il existe d’autres académies dont l’objet n’est pas le beau langage mais le bon vin. L’Académie du vin de France que préside notre ami Boidron qui est ici, l’Académie internationale du vin présidée par notre ami Perrin des Côtes du Rhône et j’ai envie d’y ajouter le club des 100. Mais seul Bordeaux, avec son choix de près de 60 appellations différentes peut secréter une institution comme la nôtre.
Je voudrais ajouter pour le président du C.I.V.B. que nous tenons beaucoup à avoir un objectif original qui est de ne pas avoir de soucis de promotion ni de soucis techniques, ni de soucis économiques, nous sommes exclusivement une Académie avec un souci que connaît bien Jean-Louis Trocart, qui est d’illustrer le vin de Bordeaux.
Cette association, cette Académie a été rendue nécessaire il y a plus d’un demi-siècle maintenant, par tous les grands crus dont les propriétaires sont associés sur ce tableau de Mac Avoy que j’ai cité tout à l’heure. Pour terminer un propos qui risque d’être trop long, je suis personnellement très heureux de voir dans votre acceptation, cher Albert, un signe très fort de vitalité pour cette Académie dont je vais encore parler tout à l’heure en m’adressant à Monsieur Rigaud.
A. de Lur Saluces
Entrée officielle de Monsieur Jacques Rigaud en qualité de Membre Correspondant
Cher Monsieur,
Enfin nous pouvons vous accueillir dans notre Académie avec tout le lustre souhaité après tant de remises au lendemain. Je le fais au nom de notre institution, avec beaucoup de joie et vous remercie chaleureusement d’avoir accepté d’épauler l’Académie du vin de Bordeaux dans sa mission.
Jacques Rigaud – Comte Alexandre de Lur Saluces
Votre présence parmi nous est une véritable chance pour notre réflexion et pour notre développement futur. De fait, vous êtes déjà présent, je veux tout de suite le signaler, vous êtes présent activement dans l’Académie puisque vous avez accepté dès aujourd’hui même de participer à une réunion du jury du prix Montaigne, le prix Montaigne de la ville de Bordeaux et de l’Académie du vin de Bordeaux. Le but de ce prix, je le rappelle au passage, c’est de décerner un prix, littéraire bien-sûr, à une œuvre récente, dont nous souhaitons mettre en avant l’aspiration humaniste, celle qui est illustrée par les 3 M : Montaigne, Montesquieu et Mauriac. Votre présence dans ce jury et l’appui que vous apportez de cette façon à l’Académie, approuve et encourage sa volonté d’exister en tant qu’institution qui veut recueillir, et ensuite diffuser, tout ce qu’ont de civilisé, de culturel donc, les grands vins de Bordeaux, aussi bien dans leur élaboration que dans l’usage qui en est fait.
Je voudrais nommer les mérites qui sont les vôtres pour rentrer dans cette Académie, brièvement d’ailleurs parce que tout le monde les connaît mais aussi parce qu’ils sont si nombreux qu’ils m’amèneraient à être beaucoup trop long.
Vous aviez bien voulu intervenir ici-même, dans un de nos dîners-dégustations, le 20 décembre 96 exactement, et à Gruaud-Larose, sur un thème qui vous est cher : « l’exception culturelle », une grande idée française toujours réinventée. La politique culturelle est un thème de réflexion sur lequel vous vous êtes exprimé dans beaucoup de tribunes et bien évidemment le but de l’Académie vous convient, vous touche car le vin est un élément de la culture, on ne le dira jamais assez, dans la mesure où il n’est pas un fait industriel mais le résultat d’une démarche humaine, artisanale, pour ne pas dire artistique, et que son usage est un lien entre les hommes.
Le millésime 1932 est un bon millésime puisqu’il vous a vu naître. A Bordeaux, on l’a un petit peu oublié. Vous êtes passé par Sciences Po et la licence en droit, par l’ENA et vous êtes entré par la suite au Conseil d’Etat où vous avez siégé 20 ans. Parmi les innombrables responsabilités qui ont été les vôtres, on vous voit Directeur de cabinet du Ministre de l’agriculture, Monsieur Jacques Duhamel qui devient ensuite Ministre des affaires culturelles et ceci dans le sillage d’André Malraux. Vous poursuivez dans cette fonction avec notre confrère Maurice Druon.
Puis, vous devenez Sous-Directeur à l’UNESCO avant de devenir, par un passage dans l’économie privée, Administrateur délégué de la Compagnie Luxembourgeoise de télédiffusion de 1980 à 2000. Vous avez été aussi Président de l’Etablissement public du Musée d’Orsay qui, de gare désaffectée, est devenu musée grâce à vous.
Vous êtes à la tête, d’ADMICAL, l’Association pour le Développement du Mécénat Industriel et Commercial, puis du FRAC, Fonds Régional d’Art Contemporain d’Aquitaine. Tout cela vous donne un statut de professionnel de la communication et de spécialiste des questions touchant la culture.
J’ai effleuré toutes vos fonctions ; de la même façon vous me permettrez de ne citer que vos 2 derniers ouvrages parce que ce sont sans doute vos réflexions les plus actuelles. Il s’agit du livre « Un balcon sur le temps » paru en 99 et « Les deniers du rêve » paru en 2001. C’est un grand honneur, Monsieur, de vous recevoir dans notre Académie et de trouver dans votre acceptation une marque de sympathie et aussi de conviction.
C’est surtout pour notre Académie une chance extraordinaire d’avoir pu attirer votre amitié agissante. Est-ce l’Académie ou les grands vins de Bordeaux ? Restons modestes. En tous cas, je suis sûr que de nos rencontres futures jailliront de nouvelles idées qui feront vivre plus que jamais l’orgueilleuse devise de notre Académie : « Hic uva ubique nomen »
A. de Lur Saluces