« Histoire et futur des cépages » par le Dr José Vouillamoz
Introduction par le Professeur Denis Dubourdieu, Directeur de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin
L’Académie du Vin de Bordeaux et l’Institut des sciences de la vigne et du vin de l’université de Bordeaux ont l’honneur et le plaisir d’accueillir ce soir le Docteur José Vouillamoz qui est mondialement connu pour ses travaux que l’on pourrait qualifier d’ampélographie moléculaire.
Nous le remercions sincèrement d’avoir bien voulu se rendre à notre invitation et en particulier à l’invitation de Fabrice Dubourdieu.
Un petit mot sur le curriculum vitae de notre conférencier. Le Docteur José Vouillamoz est titulaire d’un doctorat en taxonomie et systématique moléculaire des plantes de l’université de Lausanne. Après sa thèse, il passe un an au département de viticulture et d’œnologie de l’université de Californie, Davis, pour déterminer l’origine et la parenté des cépages du Valais, c’est du moins ainsi qu’il nous l’a transmis.
Ensuite, de 2003 à 2004, on le retrouve à l’Institut agraire de San Michele all’Adige, en Italie pour un travail postdoctoral de recherche qui, je crois, portait sur la domestication de la vigne, sujet passionnant sur lequel des hypothèses différentes se sont affrontées au cours des dernières décennies.
Et en 2005, bon sang ne saurait mentir, notre conférencier rentre au pays natal et poursuit ses travaux de recherche sur la génétique de la vigne à l’université de Neuchâtel.
Depuis 2008, il occupe un poste de chercheur à l’Agroscope de Changins-Wädenswil, dans le département des plantes médicinales et aromatiques.
Les principales découvertes du Docteur Vouillamoz ont porté sur l’origine génétique et les parentés de différents cépages, dont il va nous parler ce soir, mais certains résonnent de façon très connue à nos oreilles, le pinot, la syrah, le sangiovese, le magnifique nebbiolo du Piémont, le müller-thurgau ou le cornalin du Valais et certainement aussi d’autres cépages du Valais.
Ses travaux ont fait l’objet de plusieurs dizaines de publications scientifiques. José Vouillamoz est aussi l’auteur, avec nos amis, Jancis Robinson et Julia Harding, du magnifique et colossal ouvrage de Wine Grapes, qui répertorie plus de 1 300 variétés de vignes, leurs origines, leurs saveurs, leurs flaveurs, etc.
Le Professeur Michel Aigle, qui fut un brillant explorateur du génome de la levure dans les années 1980-1990, et que nous avons eu la chance d’avoir pour collègue à l’université de Bordeaux, avait coutume de dire : « La vie n’est pas un fait mais une histoire. » En effet, rendu possible par les progrès de la génétique, le déchiffrage du génome des êtres vivants nous livre plus que leurs gènes, il nous livre leur histoire qui est aussi notre histoire.
Quand, où et comment l’homme domestiqua la vigne ? D’où viennent nos cépages ? Quels sont leurs liens de parenté ?
Sur ces thèmes, dont il est expert, le Docteur Vouillamoz va certainement vous passionner et en signe de bienvenue, je vous demanderai de l’applaudir chaleureusement.
Histoire et futur des cépages
Docteur José Vouillamoz
Bonsoir à tous.
Merci au Professeur Dubourdieu pour cette excellente introduction, très flatteuse. Merci beaucoup, merci à l’Académie de me faire l’honneur de m’inviter ce soir pour vous parler de l’histoire et de l’origine des cépages.
J’ai dû faire un tri parce que nous serons ensemble pendant 40 minutes. Puis nous aurons un petit moment pour discuter. Je ne pourrai pas aborder tous les sujets, en particulier la domestication de la vigne qui est un gros morceau et il faudrait presque organiser une autre conférence pour aborder cette histoire. Mais nous pouvons en parler peut-être après.
Je commence – alors, ce n’est pas de la publicité, je dis toujours que c’est pour vous rendre service si vous ne l’avez pas encore, c’est pour savoir qu’il existe – vous m’avez fait l’amitié d’en parler, par l’ouvrage Wine Grapes qui est en effet devenu rapidement la référence internationale dans le domaine. Nous avons gagné tous les prix dans le monde de la publication du vin. C’est un ouvrage de 1 280 pages et qui pèse 3,70 kilogrammes.
Donc, je ne l’ai pas pris avec moi, j’étais en « bagage léger » et je ne suis pas le seul à ne pas vouloir le trimbaler. Plusieurs journalistes disaient qu’on ne voyage pas avec cela. Une année après – il est sorti en 2012 – en 2013, nous avons fait une version e-book que j’ai sur mon portable par exemple. C’est plus pratique et moins cher. Et puis il n’existe qu’en anglais, je dois le dire. Alors, 1 280 pages à traduire, nous avons contacté toutes les grandes maisons françaises, Larousse, Flammarion, Hachette, et tout le monde a dit : « Non, ce n’est économiquement pas viable. »
J’en profite pour lancer un appel, parce que, nous, les auteurs, nous avons une autre idée – c’est une idée que j’ai lancée – je suis prêt à m’engager moi-même à faire une version digest, une version diminuée en français avec uniquement les cépages de France. Et nous cherchons activement un éditeur.
Si vous connaissez quelqu’un qui serait prêt à s’engager avec les trois auteurs, donc Jancis Robinson, Julia Harding et moi-même, eh bien nous sommes dans le processus de s’engager dans cette histoire parce que beaucoup de Français me disent souvent : « Ah il est bien ton livre. Mais, moi, après deux lignes, j’arrête. Ce n’est pas possible. » Donc, voilà, l’idée est lancée.
Je vais parler de deux choses ce soir, de l’évolution et l’origine des cépages sur lesquelles j’ai beaucoup travaillé. Et puis je vais aborder une autre question où je suis peut-être moins spécialiste mais qui nous concerne tous, c’est le futur des cépages.
I) L’évolution et l’origine des cépages
Donc, dans l’évolution et l’origine des cépages, vous savez peut-être, ou vous vous souvenez peut-être de vos formations, la classification botanique de la vigne fait partie d’une famille qui s’appelle Vitaceae. Cette famille contient plusieurs genres, 13 répertoriés : on a ampelopsis, on a parthenocissus qui est la vigne vierge qu’on utilise souvent pour décorer les façades de maison, et puis, parmi ces genres, il y en a un qui est le genre Vitis.
Ce genre Vitis contient environ 60 espèces. On dit « environ » parce que les botanistes aiment bien se chamailler et dirent que c’est une espèce, non une sous-espèce, non un autre genre, etc. Donc, je dis environ 60, cela fait à peu près 30 sur le continent américain et une trentaine sur le continent eurasiatique avec une seule qui est naturellement sur le continent eurasiatique de l’Ouest de l’Europe jusqu’au Tadjikistan à peu près, c’est une espèce qui est Vitis vinifera.
Et cette espèce Vitis vinifera, on la distingue en deux sous-espèces, la sylvestris, sylva, la forêt, c’est la vigne sauvage, et puis la vinifera, c’est celle qui porte le vin. C’est la vigne cultivée. Et là, on a encore des subdivisions qu’on appelle des Proles, on a un Proles occidentalis, ce sont nos cépages de l’Occident, merlot, pinot par exemple. On a Proles pontica, c’est un peu à cheval, c’est sur la région Pontique, géographiquement où on a le furmint de Hongrie, le saperavi de la Géorgie, et puis orientalis où là on est sur des cépages comme le sultanine qui le Thompson seedless, qui est un raisin de table, le jajili qui est aussi un raisin de table et on a des différences morphologiques énormes que l’on retrouve également au point de vue génétique.
Moi, j’aime bien poser une question très simple, en particulier aux vignerons pour les taquiner un peu, c’est : « Qu’est-ce qu’un cépage ? » Tout le monde a l’impression de connaître la réponse. Les spécialistes ne sont pas tous d’accord avec la définition. On en propose une que nous pensons solide dans Wine Grapes, et ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, eh bien il faudra argumenter.
Qu’est-ce qu’un cépage ? A la base de chaque cépage, il doit y avoir un seul et unique pépin qui pousse quelque part. Une plante qui grandit, qui est repérée parce qu’elle est intéressante au niveau de ses qualités organoleptiques ou de sa vigueur ou de sa vinosité. Il faut ensuite que quelqu’un la repère, la sélectionne et la multiplie pour garder et puis pour que cela devienne un nouveau cépage.
Donc, si la plante est intéressante, on va la multiplier. Quand on la multiplie, on a envie de conserver les qualités. Donc, on ne va pas faire des croisements comme cela se fait dans d’autres espèces végétales. Dans la vigne, si vous faites des croisements, vous passez à un autre individu. C’est comme pour les êtres humains. Donc, pour la conserver, on va la multiplier en faisant des boutures, en faisant du marcottage, que la vigne fait d’ailleurs naturellement.
Au fur et à mesure que vous faites cela, si vous pensez à un cépage comme le pinot qui a en tout cas plus de 1 000 ans – il a peut-être 2 000 ans, on ne sait pas – cela fait environ 2 000 ans qu’on le propage végétativement. Donc, à chaque fois que vous avez un nouvel organisme qui est créé à partir d’un précédent, vous faites – on n’aime pas ce mot-là – vous ne faites rien d’autre que du clonage. Il ne faut pas avoir peur de ce mot.
Et en faisant ce clonage, que se passe-t-il ? Pour que la plante grandisse, vous avez forcément des divisions cellulaires. Et quand vous avez des divisions cellulaires, vous avez un pourcentage statistique de risques d’avoir des accidents. Chez les êtres humains, c’est tous les 100 000 divisions où vous avez un risque statistique d’avoir un accident qu’on appelle mutation. C’est-à-dire qu’à partir d’une cellule pour en faire deux, l’ADN doit se dupliquer. Et il y a des accidents qui arrivent.
Beaucoup de ces accidents, beaucoup de ces mutations n’ont aucun effet visuellement ou aucun effet sur la plante. Ils se passent dans l’ADN qui ne code pas vraiment de message. Et puis d’autres sont très spectaculaires. Quand cela touche la couleur des raisins, le vigneron se dit : « Fantastique, mon pinot noir est devenu blanc. Je le mets de côté. » Et quand cela touche la taille des grappes, parfois la forme des feuilles, il y a trois poils en plus ou en moins sous les feuilles, c’est visuellement spectaculaire. On le met de côté.
A chaque fois qu’on a quelque chose de spectaculaire et qu’on le met de côté, on a un clone. Et l’ensemble de tous les clones constitue le cépage. Donc, tous ces clones constituent la diversité à l’intérieur du cépage. Et généralement, plus le cépage est ancien, plus sa diversité est importante.
Et c’est très important de comprendre qu’un cépage peut être considéré presque comme un être humain. Je prends l’exemple humain qui est plus facile à comprendre : avant d’avoir l’immense athlète que vous avez devant vous actuellement, il y avait un œuf au départ qui a dû se diviser plusieurs millions de fois pour arriver à ce résultat. Si je fais l’ADN total de mon pouce de la main gauche et de mon pouce de la main droite, je trouverai des différences. Ce sont des différences, des mutations qui n’ont aucun effet sur mes deux pouces. Mais si on fait vraiment l’ADN complet et le génome complet de mes deux pouces, on va trouver des différences. Eh bien, chez les cépages, c’est pareil. L’ensemble de ces différents clones constitue le cépage.
Maintenant, quand je demande à un vigneron : « Pour vous, qu’est-ce que c’est, pinot noir, pinot gris, pinot blanc ? » Il me dit : « Ce sont trois cépages. » Je le comprends parce que cela donne trois vins complètement différents. Mais nous savons maintenant que ce ne sont que des mutations de couleur. Moi, quand je fais le test ADN de ces trois-là, j’ai un résultat identique. Le test ADN va pêcher des morceaux dans l’ADN qui ne sont pas ceux qui collent pour la couleur. Donc, on ne voit pas cette mutation, on ne voit pas cette différence. Mais pinot gris et pinot blanc ne sont que des mutations de couleur d’un cépage original, ou originel, qui est le pinot.
Ce sont parfois des choses difficiles à comprendre pour praticiens parce que, effectivement, les différences sont visibles mais au niveau génétique ce n’est pas si important que cela. Donc, ce que j’aime faire, c’est, premièrement identifier des cépages avec le test ADN. Je n’ai pas le temps de vous donner les détails mais si vous voulez qu’on en parle plus précisément, avec des termes techniques, on peut le faire plus tard. Et ce que j’aime aussi, c’est reconstruire les parentés.
Chez les cépages, ça marche comme chez les êtres humains. On a la moitié des chromosomes de notre père et la moitié des chromosomes de notre mère. Chez les cépages c’est pareil. Vous pouvez remonter leur arbre de famille pour autant que les ancêtres existent encore.
Et là, je montre exprès ce diagramme illisible parce qu’il m’a pris suffisamment de temps pour le fabriquer que cela vaut la peine de le montrer, premièrement. Deuxièmement, il est à l’intérieur du livre Wine Grapes. On peut le déplier. C’est comme une page centrale dans un magazine quelconque. Et puis, vous pouvez aussi le télécharger sur notre site Internet qui est winegrapes.org où nous avons mis gratuitement à disposition tous les arbres de famille des cépages.
Et dans celui-là, j’ai 156 cépages d’Europe occidentale qui sont liés directement de manière parent-enfant. Et c’est absolument nouveau. Cela nous a permis d’arriver avec un nouveau concept qui est le concept de « cépage fondateur » Si on fait un zoom sur les trois cépages les plus importants de ces 156 cépages, ici, nous avons le savagnin, le gouais blanc et le pinot. D’ailleurs, pinot et gouais blanc se sont croisés plusieurs fois pour donner des choses intéressantes comme le chardonnay par exemple ou le gamay qui se trouvent dans ce diagramme. Et certains cépages sont très vieux et ont eu une grande descendance. C’est le cas de ces trois-là pour cet arbre-ci.
On a répertorié dans toute l’Europe, un nombre limité de cépages qu’on a baptisé fondateurs. Je vous en cite quelques-uns. En Espagne, il n’est pas très connu mais c’est le cayetana blanca qui a une grande descendance ; le cabernet franc, dans cette zone géographique, on y reviendra tout à l’heure, qui a une grande descendance aussi ; les trois que j’ai déjà cités ; la mondeuse en Savoie ; en Valais, dans toutes les Alpes, il y a un cépage qui s’appelle la rèze, il en reste 2,5 hectares dans le monde, mais il a eu des descendances depuis le Jura jusqu’au Trentin ; le nebbiolo Piémont ; l’uganga ; le ganega ; le teroldego au Trentin ; le tribidrag, c’est le nom que nous avons donné au cépage que les Américains appellent zinfandel et que les Italiens appellent primitivo.
Et nous nous sommes donnés comme règle dans l’ouvrage d’utiliser les noms officiellement valides. Il y a une règle, pas seulement pour les cépages de vignes mais pour toutes les variétés, c’est le nom le plus ancestral valide qui fait foi. Et là, tribidrag, c’est le nom local de ce cépage en Croatie. Il a été découvert il n’y a pas très longtemps. C’est une belle histoire. C’est sur un échantillon d’herbiers qui avait 90 ans, qui s’appelait Tribidrag. On l’a analysé et il correspond au zinfandel et au primitivo. On sait que ce cépage n’est ni américain ni des Pouilles. On sait qu’il est croate et maintenant on a son nom originel. Et il a aussi une grande descendance, le muscat, etc.
Mais je vais vous parler ce soir principalement des cépages les plus représentatifs des appellations de Bordeaux. Je ne vais pas partir sur les curiosités, sur les cépages anecdotiques.
Nous allons commencer par un groupe relativement homogène qui contient le cabernet sauvignon, qui contient le cabernet franc, le merlot, carmenère, côt et le sauvignon blanc. On connaissait déjà les similitudes de ces groupes homogènes par l’ampélographie classique. L’ampélographie classique est l’analyse visuelle des formes des feuilles, des formes des apex, de la couleur des tiges, de la taille des grappes, etc. C’est vraiment l’analyse que l’on appelle phénotypique visuelle de la vigne.
Ceci est une carte de France que j’aime beaucoup qui a été faite par Monsieur Jean Bisson qui s’est basé sur ses propres travaux et sur les travaux de son professeur, Monsieur Louis Levadoux qui était un des plus célèbres ampélographes de France. Et là, ils ont répertorié les cépages dans des groupes qui s’appellent des groupes éco-géographiques. Par exemple, ici, vous avez un immense groupe qui est celui des noiriens, ce sont les cépages affiliés au pinot noir. Les cépages sérines, affiliés à la syrah. Et puis, ici, on a les carmenets, ce sont tous les cépages affiliés au groupe du cabernet franc dont nous allons parler.
Et je vais faire un tir groupé puisqu’on peut tous les réunir dans ce diagramme. Je vais vous le détailler, ne perdez pas le fil. On va commencer par le cabernet sauvignon. Cabernet sauvignon, en 1997, ma professeure Carole Meredith, de l’université de Davis en Californie – moi, je n’y étais pas encore, je suis arrivé en 2001 – avec son étudiant John Bowers, a eu la surprise de découvrir presque fortuitement la parenté du cabernet sauvignon.
On savait que les deux cabernets, le franc et le sauvignon, avaient bien sûr un lien de parenté. Par contre, entre le sauvignon blanc et le cabernet sauvignon, on ne savait qu’une étymologie commune : sauvignon vient de sauvage. Les feuilles font penser à la vigne sauvage, donc ils partagent un nom commun mais jamais personne n’avait pensé à un lien aussi direct que cela. Ils ont pu montrer, par le profil ADN, que le cabernet sauvignon est un croisement naturel spontané, qui s’est passé dans les vignobles il y a plusieurs siècles, entre le cabernet franc et le sauvignon blanc.
C’était une immense surprise. C’est ce qu’on a appelé la naissance de la génétique historique. Et c’était la première fois qu’on découvrait la parenté naturelle d’un cépage aussi important que le cabernet sauvignon qui est, à l’heure actuelle, le cépage le plus planté sur la planète. Donc ceci était le début de l’histoire.
Ils ont ensuite continué leurs travaux, eux-mêmes ou d’autres. Moi, j’ai participé à quelques-uns d’entre eux qu’on ne va pas détailler ici, mais on a été plus loin. On a trouvé que le sauvignon blanc et le chenin blanc sont des frères, issus d’un croisement entre le savagnin et un cépage inconnu. On sait statistiquement que ces deux-là doivent avoir les mêmes parents, mais nous n’en avons plus qu’un. Malheureusement, celui-là a très certainement disparu puisqu’il n’existe dans aucune collection et que nous avons plus ou moins analysé tout ce que nous avions.
Mais c’est intéressant de voir le sauvignon blanc et le chenin blanc : nous considérons qu’ils viennent de la Loire, qu’ils sont issus du savagnin qui vient du Jura. Et lui-même a un lien de « parent » avec le pinot. Donc, je vous laisse suivre ce diagramme comme si vous suiviez votre arbre de famille. Le cabernet sauvignon est un enfant du sauvignon blanc. Donc, un petit-fils du savagnin. Donc, un arrière-petit-fils du pinot. Qui dirait cela en dégustation ? Jamais.
Donc, la génétique historique nous permet de remonter ces arbres généalogiques et cela crée des histoires fascinantes. Cela permet aussi de mieux localiser l’origine d’un cépage et de mieux comprendre les pérégrinations viticoles des cépages et des populations qui le cultivent, donc des vignerons.
On a aussi trouvé la parenté du carménère. Le, ou la, carménère qui est un croisement de cabernet franc et de gros cabernet. Et le merlot est aussi un enfant du cabernet franc. Pour l’instant je m’arrête là. Donc, il y a trois enfants du cabernet franc ici. Vous avez donc merlot, carménère et cabernet sauvignon qui sont des demi-frères. Ils ont un parent commun. C’est comme pour nous, ils sont demi-frères.
Et ici, il y a une histoire très intéressante avec la magdeleine noire des Charentes, qui a donné naissance, d’un côté au merlot, et d’un autre côté au côt qui est le malbec – le malbec est le nom du propagateur, c’était le Docteur Malbeck – et il a perdu son « k » quand il a émigré en Argentine, le cépage, pas le docteur. Et c’est un enfant aussi du prunelard, qui vient du Tarn.
Je m’arrête sur l’histoire du merlot parce que je trouve qu’elle n’a pas été suffisamment médiatisée. Ce n’est pas moi qui ai fait cette découverte, ce sont mes collègues de l’INRA de Montpellier, l’équipe de Jean-Michel Boursicot. Ils ont trouvé, en 2009, la parenté du merlot, encore une fois de manière fortuite. En 1996, ils ont trouvé, près de Saint-Malo, au nord de la Bretagne, une relique de vigne qui poussait dans ce qu’ils appellent une forêt ou une montagne – 73 mètres, pour un Suisse, ce n’est pas très sérieux – mais dans cette forêt, ils ont trouvé une vigne qui était retournée à l’état sauvage. Ils l’ont multipliée, analysée, test ADN unique. On ne sait pas ce que c’est, c’est un truc un peu bizarre.
Pour la petite histoire, c’était un vestige d’un campement de Vikings, qui est un lieu de visite de la région. Mais cela montre que dans cette région-là, au nord de la Bretagne, on avait de la vigne. Et on avait de la vigne quand ?
Ici, vous avez les températures historiques reconstituées depuis l’an zéro jusqu’en 2000. Et on sait qu’on a eu un optimum climatique médiéval durant lequel les températures étaient beaucoup plus élevées, suivi par un petit âge glaciaire. Durant cette période-là, on pouvait cultiver la vigne en Bretagne.
Durant le petit âge glaciaire, aucun cépage n’a survécu. Ils ne survivaient pas aux gelées hivernales. Maintenant, on est en train de remonter. Je vais revenir dans la deuxième partie là-dessus, mais vous voyez qu’on a déjà dépassé l’optimum climatique médiéval. Donc, on peut déjà replanter de la vigne au nord de la Bretagne. Et c’est ce qu’ont fait ces personnes. Il y a maintenant une vigne sur cette petite colline.
Pourquoi ? Parce que quelques années plus tard, les mêmes chercheurs se promenaient dans les Charentes. Ils analysaient des vieux ceps qui poussaient contre des vieilles fermes. Et ils ont trouvé quatre vieux ceps autour de Cognac, quatre vieux ceps dans quatre villages différents. Ils étaient tous identiques entre eux, inconnus au bataillon et tous identiques à la vigne de Bretagne, la vigne de Saint-Suliac ou la vigne suliaçaise. Et en faisant le test ADN ils ont pu démontrer cela.
Et ils se sont demandé ce qu’était ce cépage-là. Les gens locaux disaient que c’était la madeleine parce que c’est un précoce et souvent il est mûr à la Sainte-Madeleine – historiquement, j’entends – soit le 22 juillet. Mais des Madeleine quelque chose, il y en a plein. Donc, ils ont voulu le baptiser et lui ont donné le nom de magdeleine, avec l’orthographe historique, magdeleine noire des Charentes.
Ils ont voulu le baptiser justement parce que, comme nous l’avons vu précédemment, c’était le chaînon manquant. On savait que le merlot était un enfant du cabernet franc mais on avait un point d’interrogation ici. Ce point d’interrogation là a été résolu. Et ensuite, on a pu même montrer que ce point d’interrogation a donné naissance au côt, par le prunelard et était donc un cépage clef dans l’ampélographie dans la viticulture bordelaise.
Et imaginez-vous qu’il n’en restait que cinq pieds sur la planète. Je trouve cela émouvant. Si on attendait encore dix ou vingt ans, il aurait peut-être disparu à tout jamais. On n’aurait jamais eu ce plaisir de connaître l’origine du merlot. Je sais qu’actuellement, ils sont en train d’évaluer organoleptiquement la magdeleine noire des Charentes, qui est bien sûr très précoce, qui apporte de l’acidité, qui apporte un petit côté épicé. Mais je n’ai pas eu l’occasion de la goûter.
Et j’aimerais vous parler aussi de quelque chose – mais je devrais porter un gilet pare-balles – parce que dans l’ouvrage Wine Grapes on a un peu honte, mais on a défini que le cabernet franc était d’origine du Pays Basque ! Ceux qui veulent quitter la salle tout de suite peuvent le faire. Nous ne sommes pas les seuls à le dire. Il y a plusieurs chercheurs qui arrivent à la même conclusion.
On suppose une origine ancestrale du cabernet franc au Pays Basque puisqu’il a des liens de parent-enfant. Donc il est certainement le géniteur de vieux cépages locaux comme le morenoa ou le hondarrabi beltza, qui est d’ailleurs souvent confondu avec le cabernet franc dans les vieux vignobles de l’appellation Txakoli, dans le Pays Basque. Ondarribi, c’est le nom de la Fontarrabie dans le Pays Basque.
Et puis l’on sait historiquement dans cette région-ci, il y avait la Collégiale royale de Roncevaux qui était un lieu de passage sur le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle et on sait aussi que les échanges viticoles étaient très courants sur ce parcours-là. Et puis, on sait encore, au niveau ampélographique, que le cabernet franc est très ancien. Comme il est très ancien – je vous ai montré le diagramme des clones tout à l’heure – il a une grande diversité à l’intérieur du cépage.
Et le clone ou le type le plus primitif, selon les ampélographes, est celui que l’on appelle acheria. Et acheria est le type primitif du cabernet franc au Pays Basque. Donc, tout concorde à dire que son origine ancestrale se trouverait au Pays Basque. Il aurait ensuite colonisé le sud-ouest. Ensuite la Gironde. Et puis, plus tard, la Loire où il est cité déjà au XVIe siècle par Rabelais sous le nom de breton. On peut donc imaginer même qu’il y en avait jusqu’en Bretagne. Voilà pour l’origine du cabernet.
On parlait des éco-géo-groupes. Il y a un autre cépage qui est intéressant souvent pour les assemblages à Bordeaux – parfois en mono cépage ailleurs – c’est le petit verdot. Et le petit verdot n’est pas dans le groupe des carmenets. Il est dans un autre groupe, le groupe des courbus. Donc, nous allons parler de ce petit verdot puisque le test ADN a également pu donner des informations sur lui. Pas sa parenté mais on sait qu’il a donné naissance – et je n’arrive pas à le comprendre – au tressot, dans l’Yonne, en croisement avec le duras du Tarn.
On ne connaît pas toute la vie privée des cépages, mais là, il me semble qu’il voyage beaucoup pour faire des enfants improbables dans des régions improbables. Ce n’est pas moi qui ai travaillé directement sur cette parenté. Il faudrait peut-être la vérifier. Mais toujours est-il que le petit verdot n’a pas de lien direct, génétiquement, avec le groupe des cabernets.
Je termine cette partie cépage avec les deux blancs, sémillon et muscadelle. Le sauvignon blanc, nous en avons parlé tout à l’heure. Le sémillon, on n’a pas trouvé de lien direct au niveau génétique. On lit parfois qu’il serait lié au sauvignon blanc, c’est faux. Cela a été démenti par la génétique. Son nom viendrait de semelium, qui est le nom dialectal, le nom patois de Saint-Emilion. Donc, sémillon viendrait de Saint-Emilion et non pas de semis. Souvent, on a cru que cela venait d’un semis, un petit semis. Non, cela vient très certainement de Saint-Emilion.
Et puis la muscadelle, alors là, on a trouvé un lien. C’est un des nombreux enfants du gouais blanc. Le gouais blanc est ce cépage fondateur, dont je vous ai parlé tout à l’heure, qui a donné naissance, en se mariant avec le pinot, par exemple au chardonnay et qui a donné naissance à une multitude d’autres cépages. Je n’ai pas le temps de développer mais c’est aussi le père du riesling, excusez du peu, c’est le père du furmint, qui donne les grands tokays de Hongrie, et c’est aussi le père de la muscadelle dans le Bordelais.
Donc, un cépage que l’on dit « fondateur » quand on est poli, mais moi, celui-là, je l’appelle le « Casanova des cépages » parce qu’il a eu des enfants dans tous les pays. Et partout et beaucoup.
II) Le futur des cépages
Je passe maintenant à la partie future des cépages.
Et là, je reviens sur le diagramme climatique. On a, qu’on le veuille ou non, une preuve d’un changement climatique. Dans nos régions, on peut parler même d’un réchauffement. Au niveau planétaire, on ne va parler uniquement que d’un changement. On ne va pas débattre de la cause, cela ne nous intéresse presque même pas puisque le résultat est le même.
On note ici un réchauffement récent qui a commencé vers 1950, 1960. Et là, on a cette montée exponentielle qui est impressionnante. Peu importent les causes, on a des problèmes liés à cela. Il y a un article qui est sorti en 2013 – je ne suis pas climatologue mais je trouve intéressant d’en parler – par Lee Hannah, un chercheur aux Etats-Unis qui a collaboré aussi avec l’université de Davis, et qui a fait peur à tout le monde. Ils ont sorti un article dans PNAS, un très grand journal américain, Proceeding of the National Academy of Sciences, et ils ont fait cet article très alarmiste. Ils ont sorti des cartes et des résultats qui faisaient froid dans le dos.
Vous avez en rouge – bien sûr vous avez tous regardé Bordeaux en premier, donc je commence par le rouge – les régions qui auront perdu, certaines jusqu’à 50 ou 75 % de leur conformité à une bonne viticulture d’ici 2050. Dans ces régions-là, nous avons plus de la moitié des zones qui ne seraient plus aptes à faire de la vigne ou du bon vin en 2050, selon ces auteurs-là. Vous voyez que cela touche Bordeaux, cela touche la vallée du Rhône, cela touche la Toscane. Ce n’est pas sur la carte, mais Napa Valley perdrait 74 %, le Chili 84 %. Cela fait vraiment très peur.
En parallèle, ils vous montrent aussi, en vert, les régions qui restent stables. Ici, vous avez la Loire qui se frotte les mains. Et puis, en bleu, les régions qui deviendraient nouvelles pour la viticulture. On voit qu’on va jusqu’au nord de l’Allemagne, on va jusqu’au Danemark. L’Angleterre devient aussi propice à la viticulture. Vous savez qu’il y a plusieurs maisons de champagne qui ont déjà commencé à investir dans des vignobles au sud de l’Angleterre pour faire du vin mousseux dans la région. Donc, on doit anticiper tous ces changements puisque quand vous plantez une vigne, en général c’est pour plusieurs décennies. Donc, il vaut mieux pouvoir anticiper.
Cela dit, c’est très alarmiste et je vais vous parler d’une contre-expertise tout à l’heure. Mais quoi qu’il en soit, ces changements auront forcément un coût pour la viticulture. Il faudra, dans beaucoup de régions, augmenter l’irrigation. Donc, on aura une possible pénurie régionale d’eau potable. Cela peut créer des problèmes environnementaux importants. On va devoir augmenter les intrants, augmenter le travail à la vigne, augmenter le coût aux productions, changer de mode de conduite. Il y a toute une révolution qui va devoir se faire petit à petit. Mais on ne va pas y échapper.
Cela dit, il y a un article qui est sorti quelques semaines plus tard dans le même journal, par Van Leeuwen et collègues, et le titre – le titre précédent était : « Changement climatique, vin et conservation » – et là, le titre est : « Pourquoi le changement climatique ne va pas drastiquement diminuer les capacités viticulturales des régions principales de production de vins ? » Et là, ils parlent du changement du goût des consommateurs puisqu’on va moins sur la puissance, sur l’alcool. Si on ne gère pas très bien, on peut avoir des déséquilibres, des vins plus neutres. Donc, il va falloir moduler cela par rapport au goût des consommateurs.
Effectivement, dans les adaptations viticulturales, on peut aussi faire autre chose. On peut aussi prendre des cépages plus tardifs pour certaines régions. On peut, si on veut garder le même cépage, choisir des clones plus tardifs. Un domaine qui m’intéresse plus particulièrement, ce sont les porte-greffes à cycle plus long. On n’a pas fait vraiment d’études poussées sur la grande diversité de porte-greffes que nous avons. Pour chaque cépage, on devrait, dans chaque terroir, essayer un certain nombre de porte-greffes pour déterminer lequel est le meilleur. Quand on parle d’adéquation cépage/terroir, c’est beaucoup trop simpliste. C’est plutôt l’adaptation porte-greffe/clone/terroir qui est centrale.
Bien sûr, le problème de l’irrigation, je l’ai mentionné. On peut jouer sur la surface foliaire selon le degré de maturité que l’on veut atteindre, etc. Donc, beaucoup plus de travail.
Et puis, ils ont montré ce diagramme ici où vous avez, prenons l’exemple du pinot noir : Beaune, ce sont les pointillés ici, c’est la température de la saison végétative moyenne. Et ici vous avez en pointillé de 1971 à 1999 – l’optimum était ici – le pinot était en plein dedans. Ici, entre 2000 et 2012, cela s’est déplacé. Le pinot est déjà en dehors de cette fenêtre climatique optimale et théoriquement, selon les chercheurs américains, on ne devrait plus pouvoir faire de bons pinots en Bourgogne. Je vous laisse seuls juges. Depuis 2000, n’a-t-on pas eu de grands vins en Bourgogne ? Bien sûr que si. Donc on a trouvé des moyens, des adaptations pour faire encore des grands vins.
Même chose avec la syrah, qui était en plein dedans, dans la vallée du Rhône pour cette période-ci, de 1971 à 1999, et puis là, un chiffre énorme, et il n’y a plus grand-chose qui soit adapté à cette région à part grenache et carignan pour l’instant.
Donc, cela ne suffit pas de dire : « Voilà la fenêtre climatique optimale, c’est cela, et quand on n’est plus dedans, on change de cépage. » On peut faire des adaptations et c’est dans ce sens que cet article a modéré un peu l’alarmisme du papier américain. Voilà, ce n’est pas ma spécialité mais je trouvais important de le mentionner.
Moi, je préfère les histoires de cépages. Et puis ces changements climatiques peuvent peut-être permettre de ressortir des oubliettes quelques vieux cépages qu’on a souvent décriés, peut-être à une période productiviste où quand « on faisait pisser la vigne » ces cépages ne donnaient rien de bon. Mais aujourd’hui, quand on a une viticulture plus qualitative, eh bien on a des vieux cépages qui peuvent ressortir.
Je vous ai parlé du tribidrag qui est devenu fameux aux Etats-Unis sous le nom de zinfandel. Il y a l’histoire du sagrantino, dans les marques, en Italie. C’est presque le résultat d’une seule famille, la famille Caprai, Arnaldo Caprai qui croyait en ce cépage que personne ne voulait, qui faisait des vins trop tanniques, trop durs, qui n’étaient bons qu’après 30 ans. Lui-même a amélioré les techniques viticulturales. Il a fourni des plans à tous ses collègues et en une trentaine d’années, le sagrantino est passé d’un cépage oublié à une vedette internationale puisque les vins ont commencé à gagner de nombreux concours.
On a l’exemple du carménère que je vous ai mentionné tout à l’heure. Il est né ici, un croisement entre le cabernet franc et le gros cabernet – gros cabernet qui n’est plus cultivé, que l’on n’a pas plus qu’en collection – eh bien, il a pratiquement été abandonné dans la région bordelaise. Par contre, quand il a émigré en Amérique du Sud, au Chili en particulier, c’est devenu le cépage emblématique. Il fait des grands vins.
Et cela fait aussi des grands vins en Chine. Et cela, on ne le sait que depuis 2011 puisque j’ai fait des pieds et des mains pour obtenir des échantillons d’un cabernet bizarre qui est cultivé en Chine sous le nom de cabernet gernischt. Et on pensait que c’était un croisement de cabernet merlot, ou on pensait que c’était un cépage original, etc. Alors, j’ai fait des analyses génétiques et tous les échantillons que l’on m’avait donnés, c’était du carménère. Et il y en a de plus en plus en Chine.
Donc, ces cépages historiques sont effectivement notre héritage, et cela vaut la peine de les préserver parce qu’ils pourront peut-être nous sauver la mise en cas de changement drastique.
L’année dernière j’étais au symposium des Masters of wine et on m’a demandé de parler des cépages du futur. Je me suis amusé à faire des prédictions. Ne prenez pas cela pour argent comptant, ne venez pas me demander des comptes dans 150 ans – si vous le pouvez – mais je me suis dit : « Quels sont les cépages qui ont un plus grand potentiel en termes de ce qu’ils donnent déjà localement et puis en termes du futur changement du goût du public ? » parce qu’on va de plus en plus – pas seulement les spécialistes mais les amateurs – de plus en plus vers des vins moins lourds, moins puissants, qui sont plus digestes, qui ont une plus grande buvabilité.
J’ai pris quelques exemples. Au Portugal, rabigato Al Frochero, Al Frochero qui fait un vin d’un fruité magnifique qui se boit pratiquement tout seul. C’est peut-être quelque chose qui va devenir de plus en plus répandu. Quelques-uns en Espagne, maturana, dumoy et escosac, qui, lui, vient de l’île de Majorque.
Je me suis limité à deux cépages par pays, et je n’ai rien pris en Suisse. Je n’ai pas été trop chauvin. En France, je crois au potentiel de la counoise qui apporte une belle fraîcheur dans les Châteauneuf-du-Pape. Et c’est une fraîcheur dont nous aurons de plus en plus besoin. Et puis, en Savoie, j’aime beaucoup la verdesse, qui est un cépage avec un profil aromatique très expressif, mais encore une fois une belle acidité, qui est décrié ou pratiquement inconnu en Savoie. Donc, voilà, ce sont deux bates pour la France.
En Italie, je crois au potentiel de lagrein, je ne suis pas le seul à y croire. Lagrein est un cépage qui fait des vins très foncés, qui a beaucoup d’anthocyanes, qui vient du Sud-Tyrol, du Haut-Adige, Alto Adige. Je ne suis pas le seul à le penser puisqu’il a déjà été planté en Australie par plusieurs domaines et en Californie récemment.
Et puis un cépage dont je parle depuis des années, mais apparemment personne ne m’écoute, c’est le niedera. Niedera est un cépage de Sardaigne qui donne des vins d’une rondeur, d’une finesse tannique et d’une longévité absolument époustouflante. J’avais acheté une bouteille, il y a une dizaine d’années, et j’ai fait une dégustation à l’aveugle avec des copains, et le but était de donner le prix du vin. Tout le monde était sur les 50 euros et je l’avais payé 7 euros à la cave. Donc, je me suis dit que c’est quelque chose qui a un grand potentiel.
En Grèce, il y a une foison de cépages, j’en ai pris deux. mikilonide (inaudible) Péloponnèse, et mavrotragano qui est un cépage rouge de l’île de Santorin, qui est de plus en plus en vogue. Je n’ai pas pris assyrtiko parce que c’est déjà une star. J’ai vraiment essayé de voir ce qui allait venir.
En Turquie, vasilaki et émir. Emir qui donne un vin blanc sec d’une grande fraîcheur malgré un climat méditerranéen. En Géorgie, chapkapito et klissi qui sont des cépages maintenant très répandus dans le milieu des vins naturels. Les gens qui font des vins de manière très traditionnelle dans les amphores enterrées, qui s’appellent kvevris, en Géorgie. Et puis, mon préféré, mon chouchou, c’est un cépage d’Arménie, qui s’appelle areni. Areni, qui, quand il est bien cultivé, donne des résultats époustouflants. Encore une fois, à l’aveugle, plusieurs personnes me disent, soit c’est un grand nebbiolo du Piémont, soit c’est un grand sangiovese de Toscane. Et je dis non, c’est un areni d’Arménie.
Donc, voilà, c’est une petite devinette que je me suis faite à moi-même.
Plus sérieusement, l’INRA de Bordeaux travaille depuis quelques années sur un projet qui s’appelle – peut-être que certains d’entre vous connaissent beaucoup mieux que moi les détails de ce projet, je ne vais pas m’avancer mais j’ai le plaisir de le mentionner – un projet qui s’appelle Vitadapt et cela a été surnommé la « parcelle 52 » puisque c’est une parcelle avec 52 cépages à l’essai sur le climat bordelais.
Il y a des choses assez intéressantes, il y a l’arvine et le cornalin de Suisse. Ce sont des cépages que je connais bien. Il y a le jrastilaline de Géorgie par exemple. Il y a assyrtiko de Grèce, et j’en passe. On est en train de tester une grande palette de cépages très divers pour anticiper peut-être des futurs changements climatiques.
Une autre manière d’anticiper les changements climatiques, c’est de faire des cépages qui résistent à peu près à tout, aux maladies, au froid, au stress, à tout. Et c’est ce qu’on appelle – surtout par rapport aux maladies fongiques – le doux nom de pilzwiderstandsfähige rebsorten, bien sûr cela vient d’Allemagne et ce sont les cépages résistants aux maladies fongiques, ce qu’on appelle les piwi, piwi c’est l’abréviation.
Ce sont toujours des hybrides très complexes. Là, j’ai pris l’exemple du prior. En rouge, j’ai mis ceux qui sont plus ou moins connus du grand public ou du public amateur, le regent par exemple. J’aurais pu mettre le solaris en rouge, le johanniter ou le cabernet-cortis, surtout dans les régions froides comme la Hollande et le Danemark où on en a même planté.
J’ai montré cet exemple, parce que c’est l’arbre généalogique du prior. Vous imaginez la complexité des croisements. Et si vous remontez chaque branche, eh bien vous arrivez à un moment donné à avoir du Vitis vinifera mais aussi du Vitis riparia, labrusca, tsinirea aestivalis, lincecumi et rupestris qui sont toutes des Vitis américaines qui ont chacun, à un moment donné, dans l’arbre généalogique donné des résistances qui au final ont été conférées à ce prior.
Donc, c’est une voie laborieuse. Cela donne des vins qui plaisent à une certaine partie du public, surtout des convaincus parce qu’au niveau environnemental bien sûr que cela a un avantage indéniable. On n’a pratiquement plus de fongicides, on n’a beaucoup moins d’intrants dans la vigne. C’est beaucoup plus écologique. Maintenant, dans le verre, c’est autre chose.
Mais même les croisements traditionnels. Là, je me suis aussi amusé à regarder parmi les croisements traditionnels qui ont été commencés au début du XIXème siècle, eh bien il n’y en a que deux au monde qui couvrent plus de 10 000 hectares de vigne. Et pourtant, cela fait deux siècles qu’on travaille dessus. Donc, le succès n’est peut-être pas forcément au rendez-vous. Vous avez le müller-thurgau. On a cru longtemps que c’était un croisement de riesling avec du sylvaner, mais en fait l’ADN a dit que non, ce n’est pas du sylvaner, c’est de la madeleine royale, qui est elle-même un croisement allemand.
Eh bien, ce müller-thurgau, c’est 45 000 hectares, c’est un des seuls qui sort un peu du lot. Et puis le alicante H. Bouschet, qui est un croisement de grenache et de petit Bouschet. Les deux ont été faits au XIXe siècle. Le alicante, lui, couvre 30 000 hectares. Ce sont les deux seuls qui dépassent les 10 000 hectares, les autres, c’est anecdotique.
Donc, on peut se demander, dans le futur de la viticulture, qu’est-ce que cela va donner ? Alors, j’ai pris cet exemple : « Quel Romanet-Conti en 2214 ? » Excusez-moi, parce que j’ai cherché un vin emblématique dans le Bordelais qui soit connu dans le monde entier et je n’ai pas trouvé. Je suis désolé. Au moins là, quand je parle, tout le monde sait de quoi je parle.
Donc, la Romanée-Conti en 2214, qu’est-ce que cela va donner ? Eh bien, cela dépend de ce qu’on fait avec le pinot, si on veut le garder ou pas. Le pinot, je l’ai montré tout à l’heure, comme tous les cépages, il a été multiplié par marcottages, par boutures. On m’a dit parfois que ce sigle était choquant, mais effectivement, le pinot, cela fait 2 000 ans qu’il n’a pas eu de relation sexuelle. Et tant mieux pour nous, parce qu’au moins il est resté le pinot. Si on le croise avec autre chose, ce n’est plus du pinot.
Mais en faisant cette multiplication, on a une grande diversité à l’intérieur du cépage – il y a plus de 1 000 clones de pinot répertoriés – on doit faire face à une augmentation inéluctable des maladies fongiques par le réchauffement climatique (ici, je vous rappelle le diagramme qui fait mal) et puis on doit prendre des décisions. Donc, quelle Romanée-Conti en 2214 ?
Soit, on choisit de planter un autre cépage, comme on en a l’idée avec la « parcelle 52 » à Bordeaux. On peut mettre des cépages plus tardifs, on peut mettre des croisements, on peut mettre des hybrides. Je vous laisse imaginer 2214, la Romanée-Conti faite à base du cépage regent. Je crois qu’à ce moment-là Aubert de Villaine se retourne dans sa tombe à chaque vendange, j’imagine ! Donc, est-ce que c’est envisageable ? Peut-être. Est-ce que c’est souhaitable ? En tout cas, pas dans un premier temps. Donc, que va-t-on faire ?
On va continuer l’agrochimie à outrance, qui va forcément devoir augmenter pour lutter contre les pressions des maladies. Dans le cas présent, ce n’est pas forcément la philosophie. Est-ce que l’on va faire un screening de tous les clones pour, chaque fois, adapter à des clones plus tardifs ? Ou – et je suis désolé d’aborder ce sujet – on fait des pinots qui sont génétiquement modifiés. Donc, un pinot OGM trademark.
Pourquoi j’aborde ce sujet ? On a, depuis 2007, la connaissance du génome total, donc de l’ADN total du pinot. C’est représentatif de la vigne. Cela a été fait par deux équipes différentes, mon collègue Velasco en Italie – j’ai collaboré avec lui en 2007 – qui faisait cavalier seul, et puis une autre équipe italo-française avec le chercheur Jaillon. Et la même année, ils ont, tous les deux, sorti le génome total du pinot. Et c’était la quatrième plante dont le génome avait été séquencé totalement.
La première, c’était arabidopsis thaliana. Cela ne vous dit peut-être pas grand-chose. C’est une petite crucifère, qui ne paie pas de mine, mais qui a un cycle de reproduction très rapide. Donc, les chercheurs travaillent beaucoup sur cette plante-là. C’est la première qu’on a analysée. Il y a la papaye, il y a un peuplier, la vigne, et puis le riz.
On a répertorié environ 30 000 gènes. Donc, ce que l’on a fait, là, c’est qu’on a simplement lu l’ADN. Quand on lit l’ADN, c’est qu’on connaît la séquence, on connaît l’agencement des molécules. Mais après, il faut encore savoir ce que cela veut dire. Une fois qu’on a lu, il faut savoir ce que cela veut dire. C’est comme si on achète une bibliothèque. C’est bien, mais après, il faut la lire. Donc, on est en train de la lire. Mais on a déjà 30 000 gènes qui ont été identifiés. Cela représente 15 % de l’ADN total. Non, 30 000 gènes répertoriés dont 14 000 identifiés, dont les gènes de résistance au mildiou, à l’oïdium, les gènes responsables de la couleur, etc.
Donc, on a déjà les outils qui nous permettraient de faire des OGM. C’est-à-dire prendre le gène de résistance du mildiou puisqu’on sait où il est sur une vigne résistante, et l’intégrer sur le pinot ou le cabernet ou ce que vous voulez. On a les capacités de le faire. Maintenant, je ne défends pas les OGM, mais je ne les rejette pas totalement. C’est une approche plus scientifique, c’est plus une étude au cas par cas, parce que c’est, un peu comme toute découverte, on peut l’utiliser à bon ou mauvais escient.
Ici, un exemple, vous avez le Roundup Ready qui est une trademark de semences qui sont résistantes à cet herbicide. Vous avez du maïs, vous avez du soja, vous avez du coton, etc. qui résistent à cet herbicide par transformation génétique. Non seulement, c’est une maison qui produit ces semences et ces plantes résistantes, mais bien sûr, ils vendent aussi l’herbicide. C’est Monsanto, vous connaissez l’histoire. Donc cela, bien sûr, ce n’est pas forcément un progrès pour l’humanité.
Un autre exemple ici. C’est un professeur de l’université de Zurich qui a mis à disposition ce qu’ils ont appelé le golden rice, qui est beaucoup plus riche en vitamine A et en fer. Et dans les populations asiatiques où on cultive le riz, on a une carence, en particulier chez les jeunes enfants, en vitamine A et en fer. C’est un riz modifié qui a été mis à disposition gratuitement. Les semences ont été mises gratuitement à la disposition de ces populations pauvres.
Il y a eu quand même des levées de boucliers de Greenpeace, par exemple, qui n’approuvait pas parce qu’ils trouvent que c’est presque mettre un pansement sur un problème. Il vaudrait mieux éviter la malnutrition pour éviter la carence en vitamine A. C’est peut-être un peu idéaliste mais peut-être que dans un premier temps, cela peut aider. Ce sont des sujets qui font grands débats, en tout cas chez nous.
Parce que si vous regardez ici ce diagramme, en vert, ce sont les pays qui exigent que les produits contenant des organismes génétiquement modifiés soient mentionnés sur l’étiquette. Et puis en jaune, ceux qui n’ont pas cette demande-là. Effectivement, aux Etats-Unis, il n’est même pas possible de savoir si ce que vous mangez a été produit à partir d’OGM ou non. Et le grand public ne montre pas d’intérêt à le savoir.
Je reviens sur la vigne. Il faut savoir, avec ce petit tableau, qu’on a déjà commencé il y a longtemps. Il y a des programmes, depuis 1999, d’études sur des OGM dans la vigne. En Italie, c’était sur sultanina qui est un cépage de raisin de table, le silcora aussi, pour provoquer la parthénocarpie. La parthénocarpie, c’est faire un fruit sans fécondation. Donc, c’est, pour des cépages qui n’ont pas de pépin, plus intéressants pour faire des raisins de table.
Par exemple, au Canada, on a travaillé sur la résistance au froid avec le cabernet franc. Je n’ai pas les dates. En France, on a travaillé sur la résistance au cornoué avec un porte-greffe – j’y reviendrai tout à l’heure – en Roumanie cela a été fait, en Allemagne, aux Etats-Unis, Chine, etc. Inutile de dire qu’aux Etats-Unis et en Chine, on n’a pas de grandes réactions avec ces travaux de recherche. C’est surtout en Europe, où on a des réactions qui sont parfois émotionnelles.
Je parlais de la France, c’est l’INRA à Colmar qui avait fait cette recherche parfaitement préparée, qui avait toutes les autorisations officielles de toutes les instances étatiques. Les OGM pourraient théoriquement résoudre le mildiou, l’oïdium, la pourriture grise, dans ce cas-ci, le virus de l’enroulement ou la maladie de Pierce en Californie. Eh bien, ce vignoble expérimental a été vandalisé par deux fois. Je crois que les personnes qui l’ont vandalisé ont été finalement jugées parce que c’était contre la loi puisque l’INRA avait toutes les autorisations.
Encore une fois, je ne dis pas que je suis pour ou que je suis contre. Il faut faire les recherches dans des cadres scientifiques, bien contrôlés, bien établis. Mais on a forcément des réactions émotionnelles. C’est le cas aussi en Afrique du Sud où ils travaillent sur les phénotypes du chardonnay et du sultanine. Un champ expérimental qui a été mis sur pied. Et puis des protestations dans la presse. Quelqu’un a parlé même de Franken Food, la nourriture de Frankenstein.
Donc je précise, je ne défends pas ni ne condamne les OGM, je demande une approche scientifique et responsable.
En conclusion, on revient au programme de départ. Les carmenets, le groupe autour du cabernet franc forme un éco-géo-groupe, donc un groupe géographique tout à fait homogène. Et j’ajouterai une chose, vous avez vu que par exemple le carménère cabernet sauvignon et merlot sont des demi-frères. Et en assemblage, cela marche très bien. Avec leur papa cabernet franc, cela marche encore mieux. C’est l’assemblage bordelais par excellence.
Et j’ai remarqué cela dans plusieurs régions du monde, quand vous utilisez les cépages d’une même famille en assemblage, cela donne des merveilles. Autre exemple, la syrah et le viognier sont liés, ils sont dans la même famille. En Côte-Rôtie, vous savez qu’il est autorisé d’ajouter jusqu’à 20 % de viognier dans la syrah parce que cela lui augmente sa complexité, sa palette aromatique.
Quand on a des découvertes de parenté – ce n’est peut-être pas la fonction principale de ces découvertes – mais cela peut donner de nouvelles idées aux producteurs, aux vignerons, de nouveaux assemblages. Ces deux-là sont parents, on va essayer de les assembler. Par contre, ce serait une hérésie de les croiser. Là, si vous croisez maintenant le cabernet franc avec le merlot, parent-enfant, c’est de l’inceste. Et que ce soit chez la vigne ou les êtres humains, en général, le résultat n’est pas bon. Vous aurez des cépages dégénérescents qui seront sensibles à toutes les maladies.
Deuxièmement, les cépages oubliés, que j’ai mentionnés, qui me tiennent particulièrement à cœur, sont une source de biodiversité. C’est une source peut-être pour les problèmes futurs dans le changement climatique. C’est une source de gènes également qui pourrait aider à améliorer la viticulture actuelle.
Et puis encore une fois, je répète, les OGM ne sont pas la panacée, mais ce sont des études au cas par cas qui doivent être cadrées scientifiquement.
Je termine avec mon adage préféré, que je partage avec mes coauteurs du livre Wine Grapes. Vous avez Jancis Robinson et Julia Harding. Et nous disons toujours pour Wine Grapes, « Save them, drink them. » Le meilleur moyen de sauvegarder la diversité, c’est vraiment de la cultiver et de la cultiver pour la boire.
C’est certainement ce que l’on va faire tout à l’heure. Et je vous remercie pour votre attention.
DEGUSTATION
des Grands Crus de Bordeaux membres de l’Académie du Vin de Bordeaux
GRAVES – PESSAC-LEOGNAN
Château Carbonnieux blanc 2011
Château Larrivet-Haut-Brion blanc 2010
Château Malartic-Lagravière blanc 2006
Château La Louvière 2000
Château Haut-Bergey 1999
Château LaTour-Martillac 1996
MEDOC
Château Capbern-Gasqueton 2004
Château Gruaud-Larose 2003
Château Branaire-Ducru 1995
Château Coufran 1990
Château Giscours 1989
Château Issan 1988
POMEROL – SAINT-EMILION
Château Beauregard 1999
Château Dassault 2005
Château Canon-La Gaffelière 1999
Château Belair 1986
SAUTERNES-BARSAC
Château Doisy-Daëne 2010
Château Filhot 2003
Château Nairac 1991
Château Suduiraut 1982
Cocktail dînatoire
préparé par Yannick Rouzié
Pièces salées froides
Verrine de bavarois de tomate et homard
Rouleau de saumon à la crème de moutarde à l’ancienne
Verrine de mousse d’avocats et crevettes
Canapé magret sec et confiture d’oignons
Blinis saumon fumé aneth
Canapé au foie gras mi-cuit
Pièces salées chaudes
Mini burger
Feuilleté ris de veau
Bouchée escargot
Chouquette emmental
Croque-monsieur
Gâteaux lunch
Croquant aux trois chocolats
Tartelettes aux fruits
Verrine de Tiramisu
Verrine crème légère spéculos