Prix Montaigne : François-Henri Désérable, lauréat 2024
Le jury du Prix littéraire Montaigne de Bordeaux présidé par Xavier Darcos, Chancelier de l’Institut, a choisi de décerner le Prix 2024 à François-Henri Désérable pour son ouvrage « L’usure d’un monde – Une traversée de l’Iran » (Editions Gallimard).
Le Prix Montaigne a été remis par Pierre Hurmic, maire de Bordeaux et Jean-Pierre Rousseau, Grand-Chancelier de l’Académie du Vin de Bordeaux, mardi 25 juin au musée d’Aquitaine.
Originaire de Picardie, François-Henri Désérable se lance dans l’écriture après des études de droit à Lyon. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, très souvent récompensés dont « mon maître et mon vainqueur » couronné par le grand prix du roman de l’Académie française en 2021.
Le jury a été particulièrement sensible à la qualité d’écriture de ce livre et à l’humanisme du propos qui renvoie à celui de Montaigne. Comme lui, François-Henri Désérable aime à se confronter à l’expérience du monde pour éprouver son propre jugement, sonder ses propres réactions.
Discours du Lauréat 2024
« Je ne suis jamais très inspiré pour les discours de réception, alors j’ai envoyé un mail à Montaigne pour lui demander de me venir en aide. Il se trouve qu’il m’a répondu par mail il y a cinq minutes à peine. Je découvre donc sa réponse en même temps que vous :
Mon cher Désérable,
En préambule, n’oublie pas que la première vertu d’un discours n’est pas d’être éloquent, ça n’est pas non plus d’être drôle, ou persuasif, ou émouvant, non, la première vertu d’un discours, celle que négligent le plus souvent les politiques, c’est de faire court. Alors sois bref, et puisqu’on parle de politique, n’oublie pas de remercier M. Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, dont j’ai moi-même été, faut-il le rappeler, maire à deux reprises – je lui souhaite d’égaler mon nombre de mandats.
Si tu le trouves un peu nerveux, c’est peut-être parce que, à l’initiative de Jupiter, des élections législatives ô combien périlleuses arrivent dimanche prochain – à moins que ce ne soit parce que l’UBB retrouve le Stade toulousain ce vendredi en finale du championnat de France de rugby.
N’oublie pas de remercier individuellement chacun des membres du jury, même ceux qui n’ont pas voté pour toi. Remercie donc Pierre Mazet, qui en est le secrétaire perpétuel, Nicolas de Bailliencourt, grand chancelier de l’Académie du vin de Bordeaux, Robert Kopp, qui a été le premier à t’apprendre que tu étais lauréat du prix Montaigne, Jean-Pierre de Beaumarchais, Catherine Dupraz, Marguerite Figeac-Monthus, Patrice Gueniffey, Yves Harté, Aurélie Labruyère, Mathilde Peyrou, Jean-Marie Planes, Jean-Pierre Poussou, Mathilde Royer de la Bastie-Chevallier sans oublier bien sûr Xavier Darcos, le président du jury, remercie-le deux fois, car il avait déjà voté pour toi au Grand prix du roman de l’Académie française – c’est tout de même grâce à lui que tu peux payer ton loyer.
Profites-en pour saluer la mémoire d’Alexandre de Lur Saluces, qui nous a quittés l’été dernier, et qui aurait été heureux d’apprendre que la semaine dernière, après trente-sept ans d’attente, tu as enfin bu avec ravissement ton premier verre de Yquem. (C’est vrai, un millésime 82).
Puisqu’on en est aux hommages, tu pourras saluer également la mémoire de Philippe Sollers, qui est né à Bordeaux, qui fut élève dans un lycée qui porte mon nom, et qui fut surtout en 2003 le premier lauréat du prix Montaigne, celui, disait-il, dont il était le plus fier : 120 bouteilles de grands crus, qu’il avait toutes bues.
Parlons-en, de ces bouteilles. Le prix Montaigne, mon cher Désérable, est tout de même le seul prix littéraire à ma connaissance à être doté en liquide : vingt caisses de grands crus de Bordeaux qui rejoindront bientôt ta cave. N’oublie pas de remercier les vignerons pour leur générosité, promets-leur de faire honneur à leurs vins en jurant sur Saint Vincent, leur saint patron, de boire ton verre quand il sera plein et de le plaindre quand il sera bu. (Je le jure !)
Remercie également chaleureusement Frédérique de Lamothe, la directrice de la Communication de l’Académie du vin de Bordeaux, qui t’a concocté un programme de visites et de dégustations au château Brane-Cantenac, au château Chasse-Spleen, au château Pichon-Baron, au château de Ferrand, au château d’Yquem.
Enfin, les remerciements étant passés, tu pourrais conclure là ton discours, mais il faut tout de même ajouter quelques mots sur ton livre – c’est après tout grâce à lui que tu es là aujourd’hui. D’abord, laisse-moi te féliciter pour ce prix. De voir mon nom accolé à celui d’un homme de ta trempe, un écrivain de grand talent, intrépide, courageux, doté d’une plume aussi élégante est un honneur, et je pourrais dire à ton propos ce que Nietzsche disait du mien : « Qu’un pareil homme ait écrit, véritablement la joie de vivre sur terre s’en trouve augmentée. »
Je plaisante, Désérable, calme-toi. Ton petit bouquin n’est pas mal, mais ça n’est pas non plus les Essais. À propos de mes Essais, j’y ai écrit que « Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, et non ce que je cherche. » En ce sens, je suis un peu comme Nicolas Bouvier, ton saint patron à toi, qui disait qu’un voyage se passe de motifs, qu’il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même.
Tu pourras compter, il y a dans mes Essais 69 occurrences du mot « voyage ». Car voyager est encore le meilleur moyen de frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui. La tienne, tu l’as limée lors de ton voyage à celle d’hommes et de femmes d’un courage exceptionnel, des hommes et des femmes qui défient un pouvoir autoritaire, liberticide et qui finira tôt ou tard par tomber. C’est donc pour un récit de voyage en Iran, ou plutôt en République islamique d’Iran, pays où la consommation d’alcool est punie de 120 coups de fouet que tu reçois aujourd’hui un prix doté de 120 bouteilles de vin. Eh bien laisse-moi te dire, mon cher Désérable, que c’est peut-être là, de la part de l’Académie, l’un des plus beaux pieds de nez au régime des mollahs.
Avec mes salutations amicales depuis l’au-delà,
Michel de Montaigne
PS : Quand même, tu aurais pu mettre une cravate et imprimer ce discours plutôt que de le lire directement sur l’écran de ton iPhone. »
La dotation
Le Lauréat recevra une dotation très exceptionnelle de 20 caisses de Grands Crus de Bordeaux, offerts par les châteaux membres de l’Académie du Vin de Bordeaux : Château Larrivet Haut-Brion blanc 2018, Château Malartic-Lagravière blanc 2019, Château Rahoul 2018, Château Batailley 2012, Château Beychevelle 2017, Château Branaire-Ducru 2015, Château Brane-Cantenac 2009, Château Cos d’Estourmel 2015, Château Fourcas Hosten 2014, Château Lynch-Bages 2015, Château Maucaillou 2017, Château Poujeaux 2018, Clos Fourtet 2020, Château Corbin Michotte 2011, Château Dassault 2016, Château La Serre 2016, Château Clinet 2017, Château Bastor-Lamontagne 2011, Château Doisy-Védrines 2016, Château Nairac 2016.