2013

16/05/2013

Réception de Monsieur Nicolas de Bailliencourt à l’Académie Nationale

Monsieur le Président,
Madame le Secrétaire perpétuel
Mesdames, Messieurs.

Avant tout je tiens à remercier à nouveau cette noble assemblée, son Président et son Secrétaire perpétuel pour m’avoir proposé de devenir membre associé de la plus ancienne Académie nationale des Sciences, des Belles lettres et des Arts de France. C’est un honneur pour l’Académie du Vin de Bordeaux que je représente et un grand plaisir personnel.
Vous m’avez demandé de présenter cette Académie du Vin de Bordeaux qui a bien voulu m’élire en tant que Grand Chancelier. D’habitude je précise « Dieu seul est grand »… Chancelier tout court eut été suffisant mais tels sont nos usages. Il faut s’y conformer.
Eh bien, on peut penser que cette Académie, créée en 1948, a voulu répondre au propos que l’on prête au Prince de Talleyrand -Périgord et que nous connaissons tous : « avant de porter un nectar à ses lèvres (il s’agit sans doute d’un vin de Bordeaux et probablement d’un Château Haut Brion), on le regarde, on le hume puis le verre posé sur la table, on en parle.
Ce propos célèbre a sans doute incité Madame Fournier, Jean Dubois-Challon, Edouard Kressmann, Bertrand de Lur-Saluces, Henri Binaud, Edmond Rolland, Henri Martin, Henri de Fonroque Mercier, Armand Achille-Fould et Pierre Ginestet, tous présents sur le tableau d’Edouard Mac Avoy que conserve précieusement l’Académie, à constituer une société consacrée au vin de Bordeaux, à l’art de vivre qui l’accompagne, source de plaisir et de culture. L’Académie se propose en effet d’illustrer l’apport culturel du vin de Bordeaux, de diffuser son esprit, de garantir sa mémoire, enfin de perpétuer et transmettre son rayonnement en France et dans le monde. Sa devise qui pourrait paraître prétentieuse : hic uva ubique nomen, ici est la vigne, le vin, dont le nom est partout, est en fait l’expression fidèle de la réalité qui a été forgée par l’ensemble des acteurs de la viticulture bordelaise au cours des siècles.
Pierre Ginestet a été le premier Chancelier de notre Académie. Lui succédèrent Jacques Hébrard, le comte Alexandre de Lur Saluces, Madame May Eliane de Lencquesainq membre de votre noble assemblée, à laquelle je pense tout particulièrement aujourd’hui alors qu’elle vient de terminer ses vendanges dans les montagnes de Stellenbosch.
Comme toute Académie qui se respecte la nôtre compte quarante sièges d’Académiciens. Ces derniers en constituent l’ossature, je dirais « intellectuelle », sans vouloir désobliger quiconque.
Parmi eux -je ne peux les citer tous naturellement- en voici quelques uns tels le Professeur Jean-Pierre Poussou, ancien Président de votre Académie, Maître Jean-Robert Pitte, Denis Mollat, Maître Paul Andreu, Jean-Paul Jauffret, le Professeur Denis Dubourdieu, Jean-Paul Kauffmann, Daniel Lawton, le Professeur Philippe Roudié, Maître Michel Serre, et encore quelques Académiciens tout récemment cooptés: Madame Christine Lagarde, Madame Carrère d’Encausse, Secrétaire perpétuel de L’Académie française, le Prince Robert de Luxembourg ou, tout récemment élu, Maître William Christie.
L’ennui est que ces dernières personnalités, très occupées à voyager de par le monde, ne trouvent pas beaucoup de temps pour venir à Bordeaux même si elles chérissent nos vins, et que nous avons un certain retard dans leurs intronisations. Mais comme dit le proverbe Arabe ou Chinois comme vous voudrez « si la montagne ne vient pas à toi, viens à la montagne ». Ce que nous finirons par mettre en pratique en allant rendre visite à Madame Lagarde au FMI, à Washington, ou en allant découvrir les jardins de William Christie près de Saint Hermine.
L’Académie totalise aujourd’hui 237 adhérents. Outre ses 40 Académiciens, elle compte parmi les siens les représentants des meilleurs crus des meilleurs terroirs de Bordeaux, des négociants, des courtiers, des institutions viti vinicoles tel le CIVB, quelques banques. Tous sont membres associés ou partenaires, et les véritables chevilles ouvrières de notre institution. Mais cette Académie compte également des membres d’Honneur comme par exemple Monsieur Alain Juppé, enfin des membres correspondants tant français qu’étrangers.
Notre projet : dans l’esprit – excusez du peu- des Thucydide, Avicenne, Omar Khayyam, Montaigne, Montesquieu, Colette, Pasteur et autres Baudelaire, en fait dans l’esprit de tous les poètes, philosophes et savants de la création, est de faire vivre le vin dans toutes ses composantes, en corrélation avec la Philosophie, l’Architecture, la Poésie, la Peinture, la Musique, la Littérature, la Santé, les Arts de la table à la française, patrimoine immatériel mondial, les Arts et les Sciences vitivinicoles. Vaste programme aurait dit le Général de Gaulle…
Si toutes nos manifestations tournent autour du vin et de sa dégustation – nous programmons 3 à 4 manifestations par an- elles vont de pair – dans la mesure du possible- avec un cadre architectural original, des conférences, un concert, des visites de vignobles, et sont toujours accompagnées de commentaires sur les vins servis à table, pas uniquement pour faire plaisir à Talleyrand mais pour bien illustrer cette dimension culturelle inséparable du vin, et du vin de Bordeaux en particulier. Je vais essayer par quelques exemples d’illustrer nos autres activités.
Ainsi, depuis 10 ans l’Académie parraine-t-elle le Prix Montaigne, en association avec la Mairie de Bordeaux. Ce prix doté de 20 caisses de 6 bouteilles de vins de Bordeaux se propose de distinguer chaque année un ouvrage écrit dans l’esprit des Essais de Michel de Montaigne.
Le premier président du Jury, Jacques Rigaud, récemment décédé à notre grande tristesse, vient d’être remplacé par Monsieur Alain Duhamel, membre de l’Institut. Nous remettrons prochainement le prix 2013 au Professeur Jean-Pierre Le Goff pour son ouvrage « La fin du village : une histoire française ». Les 10 ans du prix ont donné l’occasion, à l’initiative de Monsieur Serge Receveur son secrétaire, de produire un petit ouvrage à partir de textes préparés par presque l’ensemble des lauréats précédents, parmi lesquels Laurent Fabius, Mona Ozouf, Pierre Nora, Maître Philippe Beaussant, Maître François Cheng, l’Ambassadeur d’Israël Elie Barnavi ou la regrettée Thérèse Delpech, ouvrage intitulé « Autour de Montaigne » et qui rassemble plusieurs petites merveilles littéraires consacrées à Montaigne, à Bordeaux ou à ses vins.
L’Académie édite un code des millésimes pour guider les amateurs perdus dans le maquis des millésimes et des grandes appellations de Bordeaux. Guide largement repris par le CIVB et par nos membres. Elle a organisé récemment des interviews filmées de personnalités bordelaises marquantes du monde du vin pour constituer une mémoire vivante de témoignages de l’histoire des vins des 30 ou 40 dernières années. Travail qui a donné lieu à un film et à un petit ouvrage récapitulatif des propos les plus pertinents des personnalités interviewées.
L’Académie reçoit chaque année, à Yquem, les hôtes conférenciers des Vendanges de Malagar, ce qui est une manière pour nos membres non seulement de participer à cet événement littéraire mais de s’associer en tant que puissance invitante à ce rendez- vous annuel parrainé par le Conseil Régional d’Aquitaine.
C’est d’ailleurs à l’Hôtel de la Région Aquitaine que nous venons justement d’accueillir, à l’invitation de Monsieur Alain Rousset, une sélection d’acheteurs étrangers venus pour la semaine des primeurs dans le cadre d’un dîner prestigieux qui permet d’offrir chaque année à nos hôtes étrangers une grande dégustation, pour la beauté du geste. Il s’agit de goûter une soixantaine de nos crus dans le millésime se terminant par le dernier chiffre de l’année en cours, soit un 3 pour cette dernière dégustation, et ce en remontant de décennies en décennies le plus loin possible dans le temps.
Cette manifestation originale qui permet surtout de présenter des vins vieux, voire très vieux, pour illustrer les capacités de nos vins à vieillir et à se bonifier en vieillissant, se déroule chaque année dans des lieux de qualité : Musée d’Aquitaine, couvent de l’Annonciade, cours Mably, Archives départementales, siège social de la BPSO récemment construit par Jean-Michel Wilmotte, et cette fois ci, à l’Hôtel de Région.
L’ Académie peut également se délocaliser en rendant visite à l’Académie Française ce que nous avons fait il y a quelques années à l’occasion de notre cinquantenaire, à l’invitation de feu Maître Maurice Druon, ce que nous avons fait également pour notre 60ème anniversaire, en nous rendant à la Sorbonne, à l’invitation de Maître Jean-Robert Pitte ou ce que nous ferons prochainement, en 2014, dans un tout autre contexte, en nous rendant aux Pays-Bas, auprès de l’Académie des 50 de Hollande.
Ces futurs hôtes préparent -dit-on- entre autres visites culturelles une dégustation au Rijksmuseum récemment ré-ouvert, à Amsterdam. D’autres visites se profilent avec ce projet de dégustation organisée à Londres avec le Lord Maire, en février prochain, et aussi en nous constituant partenaire d’une session « Wine and Poetry » dans cette même capitale anglaise brillante d’activités comme l’on sait.
Sans aller si loin partons pour Versailles où une coopération impliquant ce musée national et la Comédie Française était prévue en mai, malheureusement brusquement suspendue par les services administratifs de la Comédie française, pour des raisons qui ne sont pas toujours faciles à démêler pour un profane, raisons budgétaires sans doute. Projet original en tout cas qui je l’espère est appelé à voir le jour grâce à l’amabilité et à la diligence de Madame Catherine Pégard, Présidente de l’établissement public du Château de Versailles. En fait l’Académie pourrait devenir très prochainement, à titre de compensation, co-partenaire d’une exposition d’art contemporain prévue en juin, toujours à Versailles.
Je ne voudrais pas lasser l’auditoire avec une énumération fastidieuse d’activités ou bien en pratiquant ce que nos amis anglais appellent le « names dropping », d’autant que, en fait, j’ai presque tout dit de nos actions, des domaines dans lesquels elles s’exercent et de l’esprit qui les anime.
Ces quelques exemples illustrent l’interaction possible et nécessaire entre grands vins et culture. L’homme qui cultive la vigne et boit de bons vins est un être civilisé ou tout du moins en bonne voie de civilisation.
Cependant nous avons conscience que dans notre monde actuel d’enfants gâtés qui veulent tout, tout de suite, et qui n’ont que l’embarras du choix dans leurs activités, un match de football ou un programme télévisuel comme nos chaînes télévisuelles (chaîne étant pris dans tous les acceptions du terme) savent en diffuser, un match de football ou un programme de télévision dis-je, auquel on pourrait ajouter un week- end sur le bassin d’Arcachon, pèsent souvent plus lourd qu’une conférence de Luc Ferry sur le thème « de l’amour : une philosophie du 21ème siècle» ou de Paul Andreu sur ses réalisations architecturales en Chine… C’est dire que la participation à nos activités pourrait… devrait, être plus étoffée…
Mais cela n’empêche pas notre institution de développer de nouvelles relations avec de plus larges publics, en particulier, à Bordeaux, avec ces nouveaux partenaires mentionnés plus haut constitués par des banques ou encore par le public des écoles et universités dont les jeunes étudiants apprécient de plus en plus nos programmes, si j’en juge par l’accueil souvent enthousiaste qu’ils leur réservent. C’est dire que la génération qui arrive s’intéresse toujours, ou à nouveau, au vin.
C’est donc avec confiance que l’Académie continue à développer des initiatives culturelles autour du vin.
Je ne sais pas s’il y a plus de philosophie dans un verre de vin que dans tous les livres, Louis Pasteur dixit, mais pour faire à nouveau référence à Thucydide, de façon un peu emphatique je le confesse, rappelons que l’on prête à cet homme politique grec du 5ème siècle avant Jésus Christ le propos suivant : « c’est avec la civilisation de la vigne qu’a commencé le recul de la barbarie ». La Barbarie, sous toutes ses formes, est toujours là qui rôde et nous guette. Nous en trouvons trop souvent des exemples autour de nous. Pensons toujours à ce vin de Bordeaux qui depuis 2000 ans est un précieux allié de notre civilisation et que l’Académie s’est donné pour tâche, même de façon modeste, de faire mieux connaître et apprécier.
Un dernier commentaire si vous le permettez qui nous éloigne un peu de mon propos mais qui est tout de même lié au vin : Montaigne a écrit « si vous leur donner de bons vins ils vous feront de bonnes lois ». Nos hommes politiques boivent- ils du bon vin de Bordeaux ? Voila certainement une interrogation qui laisse songeur… et mérite d’être méditée.
Je vous remercie de votre attention.

Nicolas de Bailliencourt dit Courcol,
Grand Chancelier de l’Académie du Vin de Bordeaux